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et lettres intimes

Abandonnant alors nos sentiers solitaires,
Entre nos mains pressant leurs deux mains tutélaires,
Ah ! nous irions, sans doute, ensemble et bien heureux,
Vers un large avenir à nous ouvert par eux !…
Mais cet espoir est vain ; la grande intelligence
Leur refusa du cœur l’instinctive puissance ;
Pour eux, l’utilité, c’est asservir le sort
Avec de fausses lois pour gagner beaucoup d’or ;
Leur âme est envolée avec amour, ivresses,…
Et sa place est restée à la soif des richesses.
Valent-ils mieux que nous ? Pourtant un noble élan
Vers la gloire et le bien, dans notre cœur brûlant,
Vit sans cesse ! et des pleurs quand nous sommes la proie,
Nous demandons à Dieu qu’il leur donne la joie !


Ah ! puisque nul ne veut comprendre ici nos cris,
Puisque devant nos pas on sème le mépris,
Puisque chaque homme, enfin, à notre âme altérée
De la pitié refuse une goutte sacrée,
Mon Dieu, rappelle donc tes trop faibles enfants,
Donne-nous le repos, le dernier, il est temps !…
Qu’ai-je dit ? N’est-il pas sur cette ingrate terre,
De dévouement sans borne un tendre et doux mystère,
Une étoile en nos cieux, et qui soudain nous luit
Quand, avec des sanglots nous marchons dans la nuit,
Un céleste parfum qui berce nos misères,
Dont la sève, l’amour, est au cœur de nos mères ?