Page:Lectures romanesques, No 122, 1907.djvu/8

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après le départ de Pardaillan, avait pris aussitôt la route de Montmorency, toute seule avec son enfant, malgré les efforts de la vieille nourrice pour l’accompagner. Maintenant qu’elle tenait sa Loïse, on ne la lui arracherait plus, dût-elle ne jamais la quitter une seconde ! Et maintenant, elle pouvait parler, dire toute la vérité à François, démasquer l’infâme !

— Cher époux !… Cher amant !… Toi pour qui je donnerais ma vie !… Comme tu as dû me maudire !… Mais ce n’est rien, cela ! Comme tu as dû souffrir !… Oh ! toutes les heures de mon existence consacrées à ton bonheur pour racheter cette journée où j’ai brisé ton cœur !… Moi !… moi qui t’adore !… Mais tu me comprends bien, mon François ? Et tu m’approuves, n’est-ce pas ?… Si j’avais dit un seul mot, ta fille mourait !… Oh ! mon François ! dire que tu ne sais pas ! que tu ne connais pas ta fille !… Comme tu vas être heureux, mon cher époux ! Comme tes chers bons yeux vont se voiler de douces larmes quand je vais te dire : « Tiens, embrasse ta petite Loïse !… »

Elle marchait, marchait vite, de plus en plus vite, vers le manoir, en bredouillant ces fiévreuses paroles et d’autres encore.

Lorsqu’elle fut à cent pas de la grande porte, elle vit un rassemblement d’hommes d’armes, des torches, un cavalier qui s’élançait au galop.

— C’est lui ! c’est lui !…

Elle s’élança dans un dernier effort, mit toute son âme dans l’appel qui jaillit de ses lèvres…

Trop tard !… Trop tard de quelques secondes !…

Elle interrogea l’officier. François avait pris la route de Paris. C’est bien ! Elle irait à Paris ! Plus loin, s’il le fallait ! Tant que ses pas pourraient la porter ! jusqu’au bout de l’Île-de-France et de ces pays lointains !…

Forte de son amour d’amante et de son amour de mère, Jeanne s’enfonça dans la nuit, sous les grands arbres de la forêt, que les rafales de mars courbaient en salutations majestueuses entrevues dans l’ombre.

Une indicible exaltation la soutenait.

Elle n’avait pas peur : ni de la nuit profonde, ni des mystérieuses obscurités qu’elle côtoyait, ni des maraudeurs qui infestaient les routes et tenaient la vie humaine pour non-valeur…

Elle marchait d’un bon pas, son enfant dans les bras, et elle ne songeait même pas qu’elle n’avait pas un vêtement de rechange, qu’elle ne possédait pas un écu, qu’elle ignorait Paris… elle ne songeait à rien… elle marchait comme dans une extase, le regard brillant fixé sur l’image de l’amant.

*******

Environ une heure après le départ de François de Montmorency, des bûcherons apportèrent sur une civière le corps ensanglanté de son frère Henri. Il y eut un grand bruit, grandes allées et venues effarées dans le manoir. Henri fut porté dans son appartement, et le chirurgien du château sonda la blessure.

— Il vivra, dit-il. Mais de six mois, il ne pourra se lever d’ici.

Les bûcherons avaient reconnu François au moment du duel.

Mais l’événement leur parut si étrange et si redoutable qu’ils ne voulurent rien dire.

On supposa donc que le deuxième fils du connétable avait dû être attaqué par des routiers. Bien rares furent ceux qui, au fond de leur pensée, osèrent établir un rapprochement entre cette aventure et le départ précipité de François.

Ce fut vers la même heure que le chevalier de Pardaillan quitta Montmorency. Il ignorait ce qui venait de se passer au manoir. Mais l’eût-il su qu’il fût parti quand même. En effet, Pardaillan connaissait admirablement Henri de Montmorency, et savait qu’il n’y avait pas de pitié à attendre de lui.

— En somme, grommelait-il, en rendant l’enfant j’ai trahi mon illustre et vindicatif seigneur. Tudiable ! C’est qu’il adore voir un corps se balancer au bout d’une corde, ce digne maître ! Et bien que je sois gentilhomme, le drôle ne se gênerait pas pour essayer autour de mon col le chanvre neuf de la grande tour ! Or çà, détalons, et tâchons de mettre en mon col et ledit chanvre un nombre respectable de toises et de lieues !

Ayant ainsi raisonné, ayant soigneusement examiné la ferrure de son cheval et bourré son porte-manteau, le chevalier de Pardaillan se mit en selle, plaça devant lui son petit Jean, salua le manoir d’un grand geste héroïque et railleur, et se mit en route d’un bon trot, dans la direction de Paris.

Bientôt il pénétra dans la forêt qui s’étendait alors presque jusqu’aux portes de Paris et dont les derniers bouquets ombrageaient les collines de Montmartre.

Au bout d’un bon temps de trot de vingt minutes, le cavalier crut apercevoir une ombre à deux pas de son cheval, et au même instant, celui-ci fit un brusque écart, puis s’arrêta net.

Pardaillan se pencha, distingua une