Page:Lectures romanesques, No 128, 1907.djvu/15

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Et, dans celui qui venait de parler ainsi, Pardaillan reconnut Cosseins, le capitaine des gardes du roi !

Il n’était pas au bout de ses surprises.

Car les six autres s’étant démasqués à leur tour, il reconnut avec stupéfaction le duc Henri de Guise et son oncle, le cardinal de Lorraine !

Quant aux quatre derniers, il ne les connaissait pas.

— Ne nous occupons pas, dit le cardinal de Lorraine, de la comédie de ces poètes. Plus tard, nous verrons à étouffer cette hérésie nouvelle… Plus tard, quand nous serons les maîtres. Cosseins, vous avez étudié les lieux ?

— Oui, monseigneur.

— Vous répondez que nous y sommes en sûreté ?

— Sur ma tête !

— Eh bien, messieurs, parlons de nos affaires, dit alors le duc de Guise d’un ton d’autorité. Calmez-vous, monsieur l’évêque, les temps sont proches. Lorsqu’il y aura sur le trône de France un roi digne de ce nom, vous prendrez votre revanche. Je vous ai juré que l’hérésie serait exterminée ; vous me verrez à l’œuvre.

Maintenant les conjurés écoutaient le jeune duc avec un respect exagéré qui eût paru étrange à qui n’eût pas connu le but de cette conspiration.

— Où en sommes-nous ? reprit Henri de Guise. Parlez le premier, mon oncle.

— Moi, dit le cardinal de Lorraine, j’ai fait les recherches nécessaires, et je puis maintenant prouver que les Capétiens ont été des usurpateurs, et que ceux qui leur ont succédé n’ont fait que perpétuer l’usurpation. Par Lother, duc de Lorraine, vous descendez de Charlemagne, Henri.

— Et vous, maréchal de Tavannes ? dit tranquillement Henri de Guise.

— J’ai six mille fantassins prêts à marcher, dit laconiquement le maréchal.

— Et vous, maréchal de Damville ?

Pardaillan tressaillit. Le maréchal de Damville ! celui qu’il avait tiré des mains des truands ! Celui qui lui avait donné Galaor !…

— J’ai quatre mille arquebusiers et trois mille gens d’armes à cheval, dit Henri de Montmorency. Mais je tiens à rappeler mes conditions.

— Voyez si je les oublie, fit Henri de Guise avec un sourire : votre frère François saisi, vous devenez le chef de la maison de Montmorency, et vous avez l’épée de connétable de votre père. Est-ce bien cela ?

Henri de Montmorency s’inclina.

Et Pardaillan vit luire dans ses yeux une rapide flamme d’ambition ou de haine.

— À vous, monsieur de Guitalens ! reprit le duc de Guise.

— Moi, en ma qualité de gouverneur de la Bastille, mon rôle m’est tout tracé. Qu’on m’amène le prisonnier en question, et je réponds qu’il ne sortira pas vivant.

Qui était le prisonnier en question ?…

— À vous, Cosseins ! dit Henri de Guise.

— Je réponds des gardes du Louvre. Les compagnies sont à moi. Au premier signal, je le saisis, je le mets dans une voiture et le conduis à M. de Guitalens !…

— À vous, monsieur Marcel[1].

— Moi, maître Le Charron m’a supplanté dans mon poste de prévôt des marchands. Mais j’ai le peuple avec moi. De la Bastille au Louvre, tous les quarteniers et dizainiers sont prêts à faire marcher leurs hommes quand je voudrai.

— À vous, monsieur l’évêque.

— Dès demain, dit Sorbin de Sainte-Foi, je commence la grande prédication contre Charles, protecteur des hérétiques. Dès demain, je lâche mes prédicateurs, et les chaires de toutes les églises de Paris se mettent à tonner.

Henri de Guise demeura une minute rêveur.

Peut-être, au moment de se jeter dans cette série de conspirations qui devaient aboutir à la sanglante tragédie de Blois, hésitait-il encore.

— Et le duc d’Anjou ? Qu’en ferons-nous ? demanda tout à coup Tavannes. Et le duc d’Alençon ?

— Les frères du roi ! murmura Guise en tressaillant.

— La famille est maudite ! répondit âprement Sorbin de Sainte-Foi. Frappons d’abord à la tête ; les membres tombent en pourriture !

— Messieurs, dit alors Henri de Guise, à chaque jour suffit sa tâche. Nous nous sommes vus. Nous savons maintenant sur quoi nous pouvons compter pour mener à bien notre grande œuvre. Bientôt nous allons sortir de la période préparatoire pour entrer dans la période d’action. Messieurs, vous pouvez compter sur moi…

Ils écoutaient tous et recueillaient avidement ses paroles.

  1. Que nos lecteurs n’auront garde de confondre avec Étienne Marcel. (Note de M. Zévaco.)