Page:Lectures romanesques, No 128, 1907.djvu/9

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Le connaissez-vous ? demanda l’envoyé de Jeanne d’Albret.

— Je le connais depuis ce matin. Mais cher ami, laissez-moi vous apprendre une nouvelle : Henri de Guise est à Paris.

— Vous êtes sûr ? s’exclama Déodat, qui tressaillit et se leva.

— Je l’ai vu de mes yeux. Et je vous réponds que le bon peuple de Paris ne lui a pas ménagé les acclamations !

Déodat boucla rapidement son épée, et jeta son manteau sur ses épaules.

— Adieu, fit-il d’un ton bref, soudain redevenu sombre.

Et comme Pardaillan se levait à son tour :

— Laissez-moi vous embrasser, ajouta-t-il. Je viens de passer une heure de joie paisible comme j’en ai connu bien peu dans ma vie.

— J’allais vous proposer la fraternelle accolade, répondit le chevalier.

Les deux jeunes gens s’embrassèrent cordialement.

— N’oubliez pas, dit Déodat ; l’hôtel Coligny… la petite porte…

— « Jarnac et Moncontour ». Soyez tranquille, cher ami. Le jour où j’aurai besoin qu’on vienne se faire tuer près de moi, c’est à vous que je penserai d’abord.

— Merci ! dit simplement Déodat.

Et il s’éloigna en toute hâte. Quant à Pardaillan, son premier soin fut de courir chez un fripier pour remplacer ses vêtements. Il choisit un costume de velours gris tout pareil à celui qu’il quittait, avec cette différence que celui-ci était entièrement neuf. Puis il fixa l’agrafe de rubis à son chapeau neuf pour y maintenir la plume de coq. Puis il alla chez le Juif Isaac Ruben pour lui vendre le beau diamant du duc de Guise, dont il eut cent soixante pistoles.

Notes




◄   XIV XVI   ►

Le soir commençait à tomber lorsque Pardaillan revint à la Devinière. Instinctivement, ses yeux se levèrent vers la petite fenêtre où tant de fois lui était apparu le charmant visage de Loïse. Il eût donné la moitié des écus dont il était devenu possesseur pour être vu dans son beau costume. Mais la fenêtre était fermée.

Le chevalier poussa un soupir et se tourna vers le perron de la Devinière. À gauche de ce perron, il aperçut alors trois gentilshommes qui, le nez en l’air, semblaient examiner attentivement la maison où demeurait la Dame en noir.

— Vous dites que c’est bien là, Maurevert ? fit l’un d’eux.

— C’est là, comte de Quélus. Au premier, la propriétaire, vieille dame bigote, sourde et confite en prières. Le deuxième est à moi depuis ce matin.

— Maugiron, reprit celui qu’on venait d’appeler comte de Quélus, conçois-tu ces bizarres passions de Son Altesse pour de petites bourgeoises ?

— Moins que des bourgeoises, Quélus. Lui qui a la cour !…

— Mieux que la cour, Maugiron : il a Margot !

Les deux jeunes gentilshommes éclatèrent de rire et continuèrent à causer entre eux sans s’occuper de Maurevert, pour lequel ils cherchaient à peine à déguiser un sentiment de mépris et de crainte.

Maurevert s’était éloigné en disant :

— À ce soir, messieurs !

Quélus et Maugiron allaient en faire autant lorsqu’ils virent se dresser devant eux un jeune homme qui, avec une politesse glaciale, mit son chapeau à la main et demanda :

— Messieurs, voulez-vous me faire la grâce de me dire ce que vous regardiez si attentivement dans cette maison ?

Les deux gentilshommes, interloqués, échangèrent un coup d’œil.

— Pourquoi nous posez-vous cette question, monsieur ? fit Maugiron avec hauteur.

— Parce que, répondit Pardaillan, cette maison m’appartient.

Le chevalier était un peu pâle. Mais cette pâleur devait passer inaperçue aux yeux de ses interlocuteurs, qui ne le connaissaient pas. De plus son attitude était d’une extrême politesse.

— Et vous supposez, dit Quélus, que nous aurions envie de l’acheter ?

— Ma maison n’est pas à vendre, messieurs, fit Pardaillan avec un visage immobile.

— Alors, que voulez-vous ?

— Vous dire simplement ceci : je ne veux pas qu’on regarde ce qui m’appartient, et surtout qu’on en rie. Or, vous avez regardé, et vous avez ri.

— Vous ne voulez pas ! s’écria Maugiron en pâlissant de colère.

— Viens, fit Quélus. C’est un fou.

— Messieurs, dit Pardaillan toujours impassible, je ne suis pas fou. Je vous répète que je hais les insolents qui regardent ce qu’ils ne doivent pas voir…

— Mordieu, monsieur ! Vous allez vous faire couper les oreilles !