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Page:Lectures romanesques, No 129, 1907.djvu/10

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monsieur mon père ! Que cette faute retombe sur vous seuls !

— Quel est ce maître fou ? dit le duc d’Anjou en reculant de trois pas.

— Eh ! pardieu, Maugiron, c’est notre homme de tantôt !

— C’est lui-même, ou Dieu me damne ! s’écria Maugiron. Ah ça ! mon digne propriétaire, vous montez donc la garde, devant votre maison.

— Comme vous voyez, mon digne mignon, répondit Pardaillan. Le jour, la nuit, je suis toujours là ! Le jour, de peur des impertinents qui rient.

— Et la nuit ? demanda Quélus.

— La nuit, de peur des détrousseurs de logis.

— Ça ! éclata le duc d’Anjou, finissons-en, monsieur le drôle ; ôtez-vous de là !

— Ah ! messieurs, fit Pardaillan d’une voix très calme, en s’adressant à Quélus et à Maugiron, recommandez donc à votre laquais de se tenir tranquille, ou il va se faire étriller, comme vous-mêmes, demain matin, sur le petit Pré-aux-Clercs, vous allez vous faire estafiler ?

— Misérable ! rugirent les gentilshommes. Ce n’est pas demain matin, c’est tout de suite que tu vas mourir.

Pardaillan tira son épée.

Maurevert, sans dire un mot, s’était précipité.

Mais il recula avec un hurlement de douleur et de rage.

Le chevalier, disons-nous, avait tiré son épée, de ce grand geste ample et rapide qui faisait siffler Giboulée dans sa main. La lame décrivit un demi-cercle flamboyant, s’abattit à revers comme une cravache d’acier, et cingla la joue de Maurevert. Une longue éraflure sanguinolente décrivit sa trace rouge sur cette joue, et Pardaillan, du même coup, tombant en garde, se prit à dire posément :

— Puisque vous voulez que ce soit tout de suite, je le veux bien, moi ! Mais, par Pilate ! que dirait monsieur mon père, s’il me voyait ici ? Sûrement, il me blâmerait ! Ah ! monsieur, je suis au désespoir de lui désobéir en vous portant ce coup de pointe !

Cette fois, ce fut Maugiron qui hurla et recula, le bras droit inerte laissant tomber son épée.

Quélus, à son tour, s’élança.

— Halte ! fit la voix impérieuse du duc d’Anjou. Arrête, Quélus !

Le duc écarta vivement Quélus et s’avança, désarmé, jusqu’à Pardaillan, qui, baissant son épée, en appuya la pointe sur le bout de sa botte.

— Monsieur, dit le duc d’Anjou, je vous tiens pour un brave gentilhomme.

Pardaillan salua jusqu’à terre, mais son œil ne perdit pas de vue un instant ses adversaires massés derrière lui.

— Vous avez dit tout à l’heure des choses que vous regretteriez amèrement si vous saviez à qui vous parlez.

— Monsieur, dit Pardaillan, votre politesse me les fait déjà regretter. Quelque basse et indigne que soit la conduite d’un gentilhomme, c’est aller un peu loin que de le traiter de laquais. Je m’excuse, et vous m’en voyez tout marri.

La phrase était si équivoque, si ambiguë, que le duc pâlit de honte. Mais il était résolu à passer outre et à feindre de tenir pour valable une excuse qui n’était qu’un nouvel affront.

— J’accepte vos excuses, dit-il en nasillant, ce qui lui arrivait quand il voulait se donner plus de majesté qu’il n’en avait en réalité. Et maintenant que nous nous sommes expliqués loyalement, je dois vous dire que j’ai affaire dans cette maison.

— Ah ! ah ! Que ne le disiez-vous tout de suite !… Affaire ! Diable ! Vous avez affaire ici ?

— Affaire d’amour, monsieur !

— Je ne m’en doutais pas, vraiment !

— Vous allez donc nous laisser le passage libre ?

— Non ! fit tranquillement Pardaillan.

— Ah ! prenez garde, monsieur ! On dit que la patience du roi est courte. Celle de son frère est encore plus courte !

En parlant ainsi, le duc d’Anjou cherchait à redresser sa taille. Car il était assez petit et atteignait à peine à l’épaule de Pardaillan. Le chevalier feignit de n’avoir pas compris qu’Henri d’Anjou venait, en somme, de se nommer. Et, avec cet air d’ingénuité qu’il prenait dans les circonstances graves, il répondit :

— Monsieur, au nom de cette amitié toute neuve dont vous avez bien voulu m’honorer, je vous supplie de ne pas insister : vous me désobligeriez cruellement…

La position devenait ridicule, c’est-à-dire terrible pour le duc d’Anjou.

Il pâlit de fureur et, dans un tressaillement de rage, il leva la main.

Au même instant, il sentit sur sa gorge la pointe de l’épée de Pardaillan. Les trois gentilshommes jetèrent un cri et, saisissant le duc, le ramenèrent violemment en arrière.

— Chargeons ! dit Quélus.

— Non pas ! répondit le duc qui frémissait de honte. Remettons la partie, messieurs. Maugiron est hors de combat, Maurevert n’y voit plus. Quant à moi,