Page:Lectures romanesques, No 129, 1907.djvu/8

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haine lui venait contre ces conspirateurs… Pardaillan n’aimait pas le roi… Ou plutôt il l’ignorait… Charles IX lui était indifférent. Quel que fût le roi de France, il était son propre roi… Mais vraiment, ces gens lui apparaissaient bien vils ! Quoi ! Ce Cosseins, capitaine des gardes ! Ce Guitalens, gouverneur de la Bastille ! Ce Tavannes, maréchal ! Ce Montmorency, autre maréchal ! Tous, tous, ils devaient au roi leurs places, leurs emplois, leurs honneurs… Tous faisaient partie de sa cour, l’encensaient, l’adulaient ! Et par-derrière ils voulaient le frapper. Cela lui apparaissait comme une chose extrêmement laide, lui qui, d’instinct, avait le culte du beau geste !

Alors, quoi ?… Les dénoncer ?… Jamais, ah ! jamais cela, par exemple ! Il n’était pas l’homme de ces basses besognes.

Ces réflexions passèrent comme un éclair dans l’esprit du chevalier.

Il eut un mouvement des épaules comme pour se débarrasser d’un fardeau.

Et comme la contemplation n’était guère son fait, il se couvrit soigneusement le visage de son manteau et s’élança dans l’allée, juste au moment où Lubin se dirigeait vers lui pour refermer la porte laissée ouverte par Montmorency.

Lubin, à qui frère Thibaut avait fait la leçon, savait que huit personnages, huit poètes, devaient sortir par l’allée. Il avait compté, tout joyeux à l’idée d’aller tenir compagnie à frère Thibaut.

— Holà ! cria-t-il en apercevant ce neuvième personnage qui dérangeait son calcul, que faites-vous ici ?

Mais la stupéfaction de Lubin se changea instantanément en terreur.

Car il achevait à peine de parler qu’il reçut une violente bourrade, laquelle l’allongea de tout son long dans l’allée. Pardaillan sauta lestement par-dessus le gémissant Lubin, et aussitôt il se trouva dans la rue.



Notes




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À cette heure-là, l’hôtellerie de la Devinière était fermée. Closes également les boutiques d’alentour. Les maisons dormaient, les paupières de leurs fenêtres bien fermées. La rue était une solitude enténébrée. Le silence était profond. Seulement, au loin, passait parfois le falot d’un bourgeois venant de rendre visite à quelque voisin.

Il faut bien se figurer une rue de ce temps, la nuit.

Les maisons mal alignées, débordant ou rentrant par des angles imprévus, les toits pointus, les tourelles et les girouettes qui crèvent le ciel obscur, l’alignement des enseignes qui, pareilles à des hallebardes de deux rangs ennemis, se hérissent d’un bord à l’autre, les bornes cavalières espacées comme des fantômes en faction, les façades à croisillons aux vitraux desquelles la lune dessine des contours gothiques, la chaussée défoncée par places, son ruisseau au milieu, encaissé de pavés disloqués, les flaques d’eau, le silence énorme, pareil au silence de la campagne, silence dont le Paris moderne ne peut à aucun degré, à aucune heure de la nuit, donner une idée ; de temps à autre, le bruit cadencé d’une patrouille d’arquebusiers, ou bien la clameur d’un passant attaqué par des tire-laine et, sur tout cela, sur toute cette ombre, l’ombre des églises innombrables, clochers de couvent, car le Paris d’aujourd’hui, avec ses trois millions d’habitants, n’en compte guère plus que le Paris d’alors qui avait moins de deux cent mille âmes — et sur ce silence, les heures graves, aigres, solennelles, criardes, impérieuses, grincheuses, lentes, rapides, qui tombent de ces clochers comme d’autant de voix de bronze qui s’envoient des salutations.

Il fallait être un brave et hardi cavalier pour s’aventurer seul dans les rues, qui, dès le couvre-feu, devenaient le vaste et inextricable domaine des truands, gueux, mauvais garçons, capons, argotiers et francs bourgeois. Un seigneur de ce temps ne sortait jamais qu’à cheval, car les chaussées étaient des cloaques de boue fétide ; la nuit, il ne sortait jamais qu’avec une escorte et des porte-flambeaux. Une dame ne pouvait aller autrement qu’en litière. La plupart des bourgeois avaient un cheval, une mule ou même un âne pour faire leurs courses. Seuls, les pauvres gens piétinaient le pavé du roi, ce qui est encore façon de parler, car très peu de rues étaient pavées.

Donc, il fallait être un solide compère, un truand ou un aventurier, pour se risquer la nuit seul, sans lumière, à pied, dans une rue de Paris, ou bien il y fallait quelque puissant motif.

Henri de Montmorency s’était engagé sans hésiter dans la rue Saint-Denis.

Sous son manteau, il tenait à la main une forte dague bien emmanchée.

Il marchait sans hâte, rasant les maisons à droite, dans la direction de la Seine.

Tout à coup, il s’arrêta net, s’enfonça