Page:Lectures romanesques, No 131, 1907.djvu/11

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— Moi !…

— À moins que vous ne m’aidiez à les arrêter sans bruit, sans esclandre.

— Je suis à vos ordres, monsieur l’officier. Qui l’eût cru ! Des huguenotes chez moi ! Je me disais bien aussi ; pourquoi ne vont-elles jamais à l’église ? Quelle aventure, doux Jésus !

Tout en marmottant ces paroles entre les quatre dents qui lui restaient, la bonne dévote montait l’escalier, suivie de l’officier et des soldats.

Elle frappa.

Et dès qu’elle eut compris que de l’intérieur on tirait le verrou, elle s’effaça.

Jeanne de Piennes se trouva en présence de l’officier.

Elle pâlit légèrement.

Mais, habituée qu’elle était au malheur, elle garda tout son sang-froid et, d’une voix qui ne tremblait pas, demanda :

— Que désirez-vous, monsieur ?

L’officier rougit. La commission ne lui allait qu’à demi. Il s’agissait, en somme, d’un bon petit guet-apens. Il n’avait nulle qualité pour procéder à une arrestation. Et maintenant, devant cette femme au maintien si digne et si ferme, devant cette pure beauté que la tristesse idéalisait, il comprenait qu’il était odieux.

Mais, aussitôt, l’image furieuse du maréchal passa devant ses yeux.

Et plus tremblant que Jeanne, il répondit à demi-voix, comme honteux :

— Madame… c’est un ordre rigoureux qu’il faut que j’exécute… excusez-moi, je ne fais qu’obéir.

Que de crimes dans l’histoire de l’humanité, avec cette effroyable excuse : J’obéis ! ce n’est pas moi le responsable !… Comme s’il y avait des disciplines plus hautes que la discipline de la conscience ! Comme si tout était dit lorsque le meurtrier peut répondre : On m’a commandé de tuer, je n’ai fait qu’obéir !…

— Quel ordre ? dit Jeanne en jetant un regard d’angoisse sur la chambre où se trouvait sa fille.

— Je viens vous arrêter, madame. On vous accuse d’être de la religion et d’avoir désobéi aux derniers édits.

À ce moment, la porte de Loïse s’ouvrit. La jeune fille comprit tout d’un regard.

— Monsieur, dit alors la Dame en noir, vous faites erreur.

— C’est ce qu’il vous sera facile d’établir, madame. En attendant, veuillez me suivre sans bruit, je vous prie.

— Ma fille ! On me sépare de ma fille ! s’écria Jeanne dont toute la résolution tomba.

Loïse avait jeté un cri. Affolée, sans savoir ce qu’elle faisait, elle courut à la fenêtre, l’ouvrit violemment, aperçut le chevalier de Pardaillan. Et son premier mot — cri de sublime confiance et d’amour — fut pour appeler cet homme à qui elle n’avait jamais parlé :

— Venez ! Venez !

L’officier, voyant que les choses allaient se gâter, entra dans le logis, suivi de ses soldats.

— Madame, s’écria-t-il, je vous jure que vous ne serez pas séparée de mademoiselle, puisqu’il faut qu’elle vous suive. Je vous jure que je vous conduis toutes les deux au même endroit… Obéissez donc sans bruit… car vous me forceriez à employer la violence, ce que je regretterais toute la vie.

Jeanne vit cet officier résolu à faire comme il disait. Elle vit le logis envahi par les soldats. Elle comprit le danger et l’inutilité d’une résistance. De plus, on lui affirmait qu’elle ne serait pas séparée de Loïse. Enfin, il lui semblait facile de prouver qu’elle n’avait en rien transgressé les édits de la religion.

— C’est bien, monsieur, dit-elle en reprenant sa fermeté. M’accordez-vous cinq minutes pour me préparer ?

— Volontiers, madame, répondit l’officier, heureux d’être quitte à si bon compte.

Et il sortit avec ses soldats, tandis que Jeanne faisait signe à la vieille propriétaire d’entrer.

Celle-ci obéit, après avoir consulté l’officier du regard.

Jeanne, alors, courut à sa fille qu’elle arracha de la fenêtre et qu’elle étreignit dans ses bras.

Les deux femmes se trouvaient dans une de ces situations où les pensées comptent double, où les paroles valent des discours.

Jeanne plongea ses yeux dans les yeux de sa fille.

— Qui appelais-tu, mon enfant ? demanda-t-elle très doucement.

— Le seul homme qui puisse nous être de quelque secours, ma mère.

— Ce jeune cavalier qui regarde si souvent et si obstinément les fenêtres de ce logis ?

— Oui, ma mère, répondit Loïse dans l’exaltation de la fièvre, et sans songer que ces paroles étaient un aveu.

Jeanne serra l’enfant avec plus de tendresse sur son cœur et, avec plus de douceur encore, demanda :

— Tu l’aimes donc ?

Loïse pâlit, rougit, baissa la tête, et deux larmes perlèrent à ses cils.

— Et lui ? demanda Jeanne.

— Je crois… oui… j’en suis sûre ! balbutia Loïse.