Page:Lectures romanesques, No 131, 1907.djvu/12

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— S’il en est ainsi, tu penses que nous pouvons compter sur lui ? Songes-y, mon enfant… je te demande si tu crois à la loyauté et à la générosité de ce cavalier…

— Ah ! ma mère, s’écria Loïse dans un élan de tout son cœur, c’est l’homme le plus loyal, j’en répondrais sur ma tête !

— Comment s’appelle-t-il ? demanda Jeanne.

Loïse leva ses jolis yeux effarés comme ceux d’une biche…

— Mais…, fit-elle avec une adorable naïveté… je ne sais pas encore… son nom…

— Oh ! candeur ! murmura Jeanne avec un sourire tout mouillé de pleurs.

Et elle songea qu’elle aussi, jadis, avait aimé longtemps sans même savoir le nom de celui qu’elle aimait. Un flot d’amertume monta à son cœur, ses yeux se voilèrent.

Mais se remettant aussitôt :

— C’est bien, dit-elle. Nous n’avons ni le temps, ni le choix ! Puisses-tu ne pas te tromper !…

Elle courut à un coffret, en tira une lettre toute cachetée qu’elle avait sans doute écrite depuis longtemps, et prenant une feuille de papier, écrivit en hâte :

« Monsieur,

Deux pauvres femmes éprouvées par le malheur se confient à votre loyauté. Vous êtes jeune, et sans doute accessible à la pitié, à défaut de tout autre sentiment. Si vous êtes tel que nous pensons, ma fille et moi, vous remettrez à son adresse la lettre enveloppée sous ce pli.

Soyez remercié et béni pour l’immense service que vous nous aurez rendu. »

La Dame en noir.

Alors, elle cacheta le tout, et appelant la vieille propriétaire :

— Dame Maguelonne, dit-elle, voulez-vous me rendre un grand service ?

— Je le veux, ma fille. Et pourtant, qui eût cru que vous étiez huguenote, vous si belle et si sage personne.

— Dame Maguelonne, me croyez-vous capable de mentir ?

— À Dieu ne plaise !

— Eh bien ! je vous jure que je suis victime d’une erreur… à moins, ajouta-t-elle avec une poignante tristesse, que tout ceci ne soit qu’une affreuse comédie.

— En ce cas, fit la dévote avec fermeté, dites-moi en quoi je puis vous être utile, et aussi vrai que je ne crains rien au monde que Dieu le père, Dieu le Fils, la Vierge et saint Magloire, je ferai votre commission, dût-il m’en coûter !

— Il ne vous en coûtera rien, ma bonne dame. Il s’agit de remettre ce pli à un jeune cavalier qui demeure là, dans cette hôtellerie, à la dernière fenêtre, en haut.

La vieille femme fit disparaître le papier.

— Dans dix minutes, votre lettre sera arrivée. Chère dame ! Puisse l’erreur être reconnue bien vite. Car qui ne vous aimerait et qui pourrait soutenir que vous êtes vraiment des huguenotes ?

Jeanne, cependant, avait remercié la digne bigote et ouvert la porte.

— Monsieur, nous sommes prêtes, dit-elle.

L’officier salua et commença à descendre. Il eût pu s’inquiéter de ce que sa prisonnière avait bien pu dire à la vieille propriétaire. Mais, on l’a vu, il était passablement honteux du rôle qu’il jouait, et pourvu qu’il réussît à ramener à l’hôtel de Mesmes la Dame en noir et sa fille, il était résolu à n’en pas demander davantage.

Henri de Montmorency, caché dans son carrosse, étouffa un rugissement de joie furieuse en apercevant Jeanne et sa fille. Il ne s’était même pas aperçu qu’une arrestation venait d’avoir lieu dans l’hôtellerie de la Devinière, et que des groupes nombreux commentaient l’événement.

Jeanne et Loïse montèrent dans le carrosse qui stationnait devant la porte.

Dame Maguelonne les avait suivies jusque-là.

Au moment où le carrosse allait s’ébranler, Jeanne lui jeta un regard de suprême recommandation.

La vieille s’approcha vivement, à l’instant où les mantelets allaient se rabattre, et murmura :

— Soyez sans crainte : dans quelques minutes, la lettre sera dans les mains du chevalier de Pardaillan…

Un cri terrible, un cri d’angoisse, d’horreur et d’épouvante retentit, et Jeanne, livide, voulut s’élancer.

Mais à cette seconde, les mantelets furent rabattus.

Le carrosse se mit en mouvement…

Jeanne tomba évanouie en murmurant :

— Le chevalier de Pardaillan !… Oh ! la fatalité !…




Note




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