Page:Lectures romanesques, No 131, 1907.djvu/3

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Sa mère... il avait une mère... Il venait de la retrouver... Il la tenait serrée sur sa poitrine, et il répétait doucement... bien doucement :

— Ma mère !...

Ah ! ce mot délicieux, il osait à peine le prononcer... et pourtant il sentait bien que cette femme qui pleurait et riait dans ses larmes le tenait déjà au plus profond du cœur par de puissantes et mystérieuses attaches...

Et, en la regardant avec une surprise ravie, il s’extasiait à répéter :

— Ma mère... ma mère...

Mais, d’une hâte fiévreuse, voilà que maintenant elle courait à cette porte fermée où son Georges lui avait dit qu’il fallait pénétrer pour retrouver la pauvre vieille aïeule dont l’instinct maternel lui avait conservé son fils...

Elle l’ouvrait, cette porte, et dans la grande lumière blanche de cet atelier... quand elle s’élançait en s’écriant :

— Ma mère Gredel... ma bonne mère...

Une vision inattendue, — oh ! délicieuse aussi, — la retenait sur le seuil, hésitante, ravie.

C’était, à côté de la grand’mère accablée par les ans... c’était une radieuse, une exquise apparition de jeunesse et de beauté...

C’était, tout à coup, son passé de joie et de bonheur qui revivait en une jeune fille... une enfant blonde comme elle... charmante comme elle se souvenait de l’avoir été autrefois. Et elle murmurait :

— Cette enfant... cette enfant qui me rappelle mes vingt ans...

Son regard allait à présent de Gredel à la jeune fille et à son Georges qui s’était précipité sur ses pas...

— Cette enfant, répétait-elle en interrogeant son fils...

— Mais... je ne sais pas... je ne peux pas... je n’ose pas vous dire...

— Tu n’oses pas... pourquoi ?...

— Parce que... elle aussi c’est une pauvre orpheline sans famille... elle aussi c’est une épave de la guerre.

— Son nom... son nom...

— Nous ne le connaissons pas... nous supposons seulement qu’elle s’appelle Marie-Anne...

— Marie-Anne !... Ah ! Dieu bon, Dieu de miséricorde... m’avez-vous fait la grâce, en ce jour béni, de me rendre mon autre enfant...

Et Gredel, à la vue de cette nouvelle arrivée... Gredel qui tremblait, pauvre mémoire vacillante... en cherchant à retrouver sur ce visage des traits, hélas ! trop transformés par seize ans de chagrins et de peines, Gredel s’avançait, non plus effrayée, cette fois, mais prise d’une fièvre d’anxiété...

— Je te connais... je te connais... tu n’es pas ma Catherine... elle est là, ma Catherine... elle est auprès de moi... Mais n’es-tu pas aussi ?...

— Ma mère... ma mère Gredel...

— Gredel... répétait la vieille démente, comme si ce mot, tout à coup entendu, réveillait d’autres confus souvenirs... Gredel... elle a emporté l’enfant... . elle a échappé à l’assassin... l’assassin qui revenait tout à l’heure...

Et le flot de ses paroles incompréhensibles se précipitait à présent sur sa bouche ridée, pendant que son instinct survécu à sa raison la portait dans les bras de cette femme qui l’embrassait en sanglotant...

Mais, dans la fièvre de cette scène dont tous les acteurs s’affolaient, incapables de s’exprimer autrement que par des exclamations et des larmes, Anaré, qui seul gardait’un peu de sang-froid, avait pris la parole : — Madame, donnez-moi, par grâce, une explication... C’est votre mère et votre fils, dites-vous ?... — Ma mère Gredel... mon Georges, répondait-elle en pleurant... La providence du bon Dieu me les fait retrouver... Et l’heureuse mère, attachant sur Marie-Anne un regard changé d’une indicible tendresse : — ... En me comblant aussi d’une jcie encore plus grande que celle dont elle m’avait donné l’espoir... — Mais comment avez-vous pu découvrir. .. Et elle répétait, radieuse : — En voyant dans un journal, dans VIllustration, le portrait de mon "erfant, l’image vivante de son père... en lisant les quelques mots qui racontaient sa vie... Ah ! j’ai bien vu que c’était lui... — Oui, c’est lui... c’est ma mère... je les retrouve après seize ans... seize ans, répétait-elle... depuis cette tuerie d’Héricourt. — Héricourt !... C’est Marie-Anne qui avait poussé ce cri... — Héricourt... C’est à Héricourt que vous avez perdu... — Mon fils... mes deux filles... ma mère... Et comme la jeune fille s’élancait, pâle d’une délicieuse angoisse : — Ah ! n’est-ce pas, ma Marie-Anne, c’est toi aussi que 3e retrouve en ce jout de bonheur... — Madame, s’écriait André, Tendant