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Page:Lectures romanesques, No 135, 1907.djvu/18

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Mille fois, son maître l’avait habitué à ce jeu.

Pipeau se disposait donc à revenir vers le fossé pour rapporter la boule de papier qu’il tenait dans la gueule.

La ruée vociférante des gardes lui fit faire demi-tour.

À toutes jambes, il s’enfuit dans la rue Saint-Antoine.

— Arrête ! Arrête ! s’écrièrent les gardes qui se lancèrent dans une poursuite éperdue.

Pipeau filait comme le vent. La foule s’amassait et se demandait quel truand, quel huguenot était ainsi poursuivi. En quelques secondes, le chien eut disparu à l’horizon. Alors les gardes, en toute hâte, revinrent à la Bastille pour prévenir le gouverneur de ce fait exorbitant :

— Un prisonnier correspondait avec le dehors, envoyait des lettres ! Et son messager était un chien !…

Ce prisonnier, c’était Pardaillan…

Quant à Pipeau, quand il fut hors d’atteinte, quand il s’arrêta haletant, il lâcha la boule de papier qu’il avait emportée jusque-là et n’attachant aucune importance à cette chose qui n’était pas bonne à manger, s’en alla tranquillement, et par des détours, regagna la Bastille.

Un passant qui vit ce manège ramassa la boule, déplia soigneusement le papier, l’examina sur les deux faces…

Le papier ne portait aucune écriture, aucun signe…

Le passant le rejeta… et le papier tomba dans le ruisseau de la rue.

Le ruisseau emporta le papier qui s’en alla parmi d’autres épaves, à la dérive…


Le chevalier de Pardaillan, lorsqu’il avait entendu se refermer la porte, lorsqu’il avait compris que cette porte de son cachot était inébranlable, était tombé sur les dalles presque sans connaissance.

Sous ses dehors de pince-sans-rire un peu froid, Pardaillan cachait une nature impressionnable à l’excès.

Ses colères et ses joies, pour ne pas se traduire au-dehors en gestes exubérants, n’en étaient que plus violentes.

Quand il revint à lui, le premier emploi qu’il fit de son énergie fut de se réduire au calme le plus absolu, et de dompter la fureur qui bouillonnait en lui.

Alors, il examina la chambre où il était enfermé.

C’était une pièce assez vaste dont le plancher était composé de larges dalles. Seulement, dans tout un angle, les dalles s’étant brisées, on les avait remplacées par des carreaux.

Les murs et la voûte surbaissée étaient en pierres de taille noircies par le temps ; mais elles n’étaient point trop humides, le cachot étant situé assez haut dans la tour.

Cependant, il faisait froid dans cette pièce, comme dans une cave, grâce sans doute à l’épaisseur des murs.

Une étroite lucarne, placée assez haut, laissait entrer un peu — très peu — de lumière et d’air. Mais, en montant sur un escabeau de bois, siège unique de cette prison, il était facile d’atteindre à cette fenêtre.

Une botte de paille, une cruche pleine d’eau sur laquelle était déposé un pain achevaient l’ameublement de la chambre.

Il régnait là une pesante tristesse qu’accentuait le silence ambiant.

Dans le corridor, on entendait le pas lent et sonore d’une sentinelle.

Les bruits de Paris n’arrivaient que très affaiblis et comme lointains.

Pardaillan se jeta sur la paille assez propre qui devait lui servir de lit. Une couverture trouée, élimée, traînait sur cette paille.

À l’actif de notre héros, disons qu’à ce moment d’angoisse terrible pour un homme qui savait parfaitement qu’on ne sort de la Bastille que « les pieds devant », à ce moment, toute sa pensée se reporta vers Loïse. L’amertume de son arrestation lui vint surtout de ce qu’il n’avait pu courir au secours de sa petite voisine.

« C’est moi qu’elle a appelé, songeait-il. C’est tout d’abord à moi qu’elle a pensé dans le danger. Et me voici en prison ! Dans la tombe, plutôt ! Que va-t-elle dire ? Que va-t-elle penser ?… »

Des larmes de rage et de douleur s’échappèrent de ses yeux.

Longtemps, il tourna et retourna dans tous les sens cette pensée qu’il lui avait fallu une malchance inouïe pour être arrêté en un tel moment.

Et maintenant que tout était fini, il comprenait la place que Loïse tenait dans son cœur.

Jamais Pardaillan ne s’était dit d’une façon bien positive qu’il aimait cette jeune fille.

Le déchirement qu’il éprouva lui fut une révélation. Et ce fut presque avec de l’étonnement qu’il se répéta doucement :

« Je l’aime ! »

Mais à quoi bon cet amour ? la rever-