Page:Lectures romanesques, No 137, 1907.djvu/17

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des heures entières à se demander :

« Que peut-il bien y avoir là-dedans ? »

La bonne dame dépérissait.

Ce papier, mille et mille fois, elle le tourna en tous sens, en gratta les joints avec son ongle, essaya au moyen d’une épingle de soulever le repli. Tant il y eut qu’à la fin la lettre s’ouvrit.

Dame Maguelonne demeura un instant saisie. Puis, elle s’écria :

— Ce n’est pas moi qui l’ai ouverte !

Sa conclusion fut :

— Je puis donc lire !

Elle lisait déjà, d’ailleurs, à l’instant où elle hésitait encore à s’en accorder l’autorisation.

Le pli contenait un mot adressé au chevalier de Pardaillan, et une lettre qui portait une suscription… Par le mot, la Dame en noir suppliait le chevalier de faire parvenir la lettre à son adresse.

Et cette adresse, c’était : « Pour François, maréchal de Montmorency. »

La vieille dame demeura stupéfaite et remplie de remords. En effet, elle voyait clairement qu’il n’y avait pas la moindre connivence entre la Dame en noir et le chevalier de Pardaillan ; d’où sa stupéfaction. Et d’autre part, sa curiosité demeurait inassouvie, puisqu’il y avait une deuxième lettre à ouvrir ; d’où son remords.

Que pouvait-il bien y avoir de commun entre la Dame en noir et le maréchal de Montmorency ?

Voilà la question qui commença à tourmenter la vieille dévote.

Héroïquement, elle résista plusieurs jours à l’envie démesurée de savoir ce qu’une pauvre ouvrière comme sa locataire pouvait bien avoir à dire à un grand seigneur comme François de Montmorency.

Enfin, elle n’y tint plus.

Un jour que, pour la millième fois, elle se répétait qu’elle n’avait pas le droit d’ouvrir la lettre, et que la Dame en noir serait en droit de lui faire de sanglants reproches quand elle serait relâchée, sa décision fut prise tout à coup : elle courut à la lettre, la déposa sur une table, s’assit et fit sauter le cachet.

À ce moment, elle bondit.

On venait de heurter à sa porte.

Au même instant, cette porte s’ouvrit. La vieille jeta un cri de terreur, Dans son impatience, elle avait oublié de s’enfermer. Et quelqu’un entrait.

Et ce quelqu’un, c’était le chevalier de Pardaillan !

— Vous ! cria dame Maguelonne en couvrant de ses mains tremblantes les papiers restés sur la table.

Le chevalier demeura un instant étonné.

« Cette vieille me connaît donc », songea-t-il.

Puis saluant avec cette gracieuse politesse dont il avait le secret :

— Madame, dit-il, rassurez-vous, je ne vous veux aucun mal ; pardonnez-moi seulement d’entrer ainsi chez vous et de vous avoir effrayée peut-être… un grave intérêt m’a fait oublier un instant les convenances.

— Oui, la lettre ! fit la vieille réellement effarée.

— Quelle lettre ? demanda Pardaillan de plus en plus étonné.

Dame Maguelonne se mordit les lèvres ; elle venait de se trahir ; elle essaya maladroitement de cacher les papiers, mais Pardaillan les avait vus et ne les perdait plus des yeux.

— Vous n’êtes donc plus en prison ? reprit la vieille pour se donner du temps.

— Vous le voyez, madame ; il y avait erreur, et l’erreur ayant été reconnue, on m’a aussitôt relâché. Et ma première visite est pour vous, ma chère dame. Vous pouvez d’un mot me soulager d’une grande inquiétude.

« Il ne me parle pas de la lettre », songea la dévote.

— Ou tout au moins, acheva Pardaillan, m’aider à fixer l’incertitude qui me fait un mal affreux.

— Pauvre jeune homme !… Parlez, je vous répondrai de mon mieux.

— Il y a dix jours, madame, j’ai été arrêté et conduit à la Bastille à la suite d’une erreur qui, comme vous le voyez, n’a pas tardé à être reconnue. Or, au moment même où mon logis était envahi, deux personnes qui demeurent chez vous étaient menacées d’un grand danger, puisqu’elles m’appelaient à leur secours. Je sais que ces deux personnes ont été enlevées violemment le jour même de mon arrestation…

— Au même moment.

— C’est cela ! Eh bien, madame, pouvez-vous me donner à ce sujet le moindre renseignement ? Comment s’est fait cet enlèvement ?

Pardaillan parla avec une émotion qui gagnait la vieille femme.

— Je vous dirai tout ce que je sais, fit-elle. La Dame en noir et sa fille Loïse ont été arrêtées, dit-on, parce qu’elles complotaient avec vous.

— Avec moi !

— Mais il est bien évident qu’elles étaient innocentes, les pauvres chères