Page:Lectures romanesques, No 137, 1907.djvu/18

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créatures, puisque vous l’êtes vous-même…

— Et, dites-moi, qui est venu les arrêter ?

— Des soldats, un officier…

— Un officier du roi ?…

— Dame, je ne sais pas trop… ah ! s’il s’était agi de religieux, j’aurai tout de suite reconnu le costume.

— Le duc d’Anjou n’était pas parmi ces gens ?

— Oh non ! fit la vieille, effrayée.

Pardaillan garda le silence. Il comprenait qu’il ne saurait rien de cette vieille. Le mystère, loin de s’éclairer, devenait plus difficile à débrouiller…

— Vous n’avez aucune idée, reprit-il, de l’endroit où on a pu les emmener ?

— Pour cela, non… j’étais si troublée, vous comprenez.

— Mais, fit tout à coup le chevalier, lorsque je suis entré, vous avez parlé d’une lettre. Est-ce que ces malheureuses femmes auraient écrit ?

Les mains de la vieille se crispèrent sur les papiers qu’elle avait fini par faire tomber sur son tablier.

— C’est-à-dire… balbutia-t-elle.

— Voyons, madame, qu’est-ce que ces papiers que vous froissez ?

— Monsieur, ce n’est pas moi qui les ai ouverts, je vous le jure ! s’écria la vieille.

Et d’un geste convulsif, elle tendit les papiers à Pardaillan qui les saisit avidement… D’un coup d’œil, il parcourut la lettre qui lui était adressée.

— Cette chère dame m’a fait promettre de vous remettre ces écrits, continuait dame Maguelonne avec volubilité, je vous jure que je me suis aussitôt rendue à la Devinière pour tenir ma promesse, mais vous étiez arrêté, je les ai donc précieusement gardés…

— Personne ne les a vus ? fit Pardaillan d’une voix tremblante.

— Personne, mon cher monsieur, personne au monde… Je vous le jure sur la Vierge…

— Qui donc les a ouverts ?…

— Eh ! ils se sont ouverts tout seuls ! répondit-elle avec l’aplomb du désespoir, ils étaient mal cachetés…

— Mais vous les avez lus ?…

— Un seul, monsieur, un seul ! Celui qui vous était destiné…

— Et l’autre ?

— La lettre du maréchal de Montmorency ?

— Oui.

— J’allais la lire, mais vous êtes arrivé…

— Madame, dit Pardaillan qui se leva, j’emporte ces papiers. Vous le voyez, je suis chargé de faire parvenir cette lettre au maréchal de Montmorency ; rien au monde ne pourra m’empêcher d’exécuter la volonté de celle qui m’a honoré de sa confiance. Quant à vous, madame, vous avez commis une mauvaise action en ouvrant ces papiers. Je vous la pardonne à une condition…

— Laquelle, mon bon jeune homme ?

— C’est que jamais vous ne parliez à âme qui vive de ces papiers.

— Oh ! pour cela, vous pouvez en être sûr ! J’aurais trop peur d’être compromise ! fit naïvement la dévote.

« Bon ! pensa Pardaillan, voilà qui me rassure plus que tous les serments. »

Le chevalier salua dame Maguelonne et se retira. Dehors, il retrouva Pipeau qui l’attendait. Il franchit tranquillement la rue et entra dans l’auberge.

Maître Landry, qui portait un broc de vin à des clients, le laissa tomber et s’arrêta, saisi d’étonnement.

— Bonjour, monsieur Grégoire, fit Pardaillan.

— Le chevalier ! fit l’aubergiste atterré.

— Remettez-vous, cher monsieur, je comprends toute la joie que vous éprouvez à me revoir ; mais enfin, ce n’est pas une raison pour ne pas me demander si j’ai faim et ce que je mangerais bien.

Landry ne répondit que par un gémissement. Son regard vacillant erra du maître qui s’asseyait à une table au chien qui lui montrait les dents.

Puis, titubant de désespoir, il s’enfuit dans la cuisine, tomba sur un escabeau et s’asséna deux grands coups de poing sur le crâne. À la vue de cette désolation, Huguette comprit qu’une catastrophe était arrivée ; elle se précipita dans la salle, et, voyant Pardaillan, comprit tout.

Seulement, si elle éprouva le même désespoir que son mari, ce sentiment se traduisait chez elle par une mimique toute différente. Elle rougit, s’approcha vivement du chevalier, et, tout en le félicitant de son retour, se mit activement à dresser la table.


— Ah ! monsieur le chevalier, fit-elle doucement, quelle peur j’ai eue pour vous ! Depuis dix jours, c’est à peine si j’ai pu fermer les yeux.

« Pauvre Huguette ! pensa Pardaillan. Quel dommage que je me sois aperçu que j’aime Loïse !… »

Malgré ce bizarre regret, les yeux du chevalier étaient peut-être plus tendres que dame Huguette n’avait l’habitude