Page:Lectures romanesques, No 138, 1907.djvu/16

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La première, c’est que ton père soit mort[1]. Car c’est sur toi que le connétable ferait tomber le poids de sa haine s’il apprenait que le fatal secret t’est connu.

La deuxième, c’est que ma fille… ta Loïse… soit en âge de défendre ma mémoire et de parler hardiment comme il convient à une Montmorency, fille d’une de Piennes, héritière irréprochable des Montmorency.

La troisième, c’est que je me sente sur ma mort, ou qu’un grave péril menace notre enfant.

Tant que ces trois conditions ne seront pas remplies, ô mon François, je veux demeurer dans mon ombre, heureuse encore de pouvoir me dire qu’en me taisant j’assure la paix et le bonheur de l’homme que j’ai tant aimé…

Car ma vie à moi ne compte plus.

Mais ce qui compte, François, c’est la vie et le bonheur de notre enfant.

Lorsque tu recevras cette lettre, Loïse sera assez grande pour te parler. Ton père sera mort, et je n’aurai plus rien à redouter de ce côté pour toi…

Mais à ce moment-là aussi… ou je serai mourante, ou un danger sera sur la tête de Loïse.

Dans les deux cas, François, la volonté suprême de ton amante, de ton épouse, est que tu reportes sur Loïse cette affection dont j’étais si fière, que tu lui rendes le nom auquel elle n’a cessé d’avoir droit, puisqu’elle est née quand j’étais ta femme, que tu lui fasses enfin l’existence qui doit être la sienne : celle d’une héritière directe des Montmorency.

Et maintenant, François, mon amant, mon cher époux, voici l’affreux secret.

Ton frère Henri m’aimait…

Tout notre malheur tient dans ces mots :

Ton frère Henri m’aimait.

Il ne craignit pas de me l’avouer. Mais j’espérai que la droiture finirait par l’emporter chez cet homme si jeune encore. J’espérai que mon amour pour toi me couvrirait contre l’injure de son amour à lui. Je me tus pour ne pas déchaîner la guerre dans une illustre famille.

La nuit de ton départ pour la guerre, une confidence était sur mes lèvres… Tu sais quels événements précipités se produisirent, et que notre mariage eut lieu… Le lendemain, je t’attendis vainement : tu étais parti !

La confidence qui était sur mes lèvres, la voici, mon François : j’étais enceinte, j’allais te donner un enfant !

Cet enfant vint au monde pendant que tu te battais… c’est notre Loïse.

Dans ces mois terribles où je te crus mort, où je faillis mourir moi-même, ton frère disparut, et j’espérai qu’il s’était éloigné pour toujours.

Un jour ma fille me fut enlevée. Et comme éperdue je la cherchais, ton frère

  1. On sait que le connétable mourut en 1567, c’est-à-dire neuf ans après que cette lettre eut été écrite. Nous aurons à parler de cette mort. (Note de M. Zévaco.)