Page:Lectures romanesques, No 138, 1907.djvu/17

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m’apparut, m’annonça ton retour, et en même temps me dit qu’il connaissait l’homme qui avait enlevé Loïse. Et comme je demeurais toute palpitante du bonheur de te savoir vivant, comme je me demandais quelle folie pouvait pousser ton frère, alors, François, s’ouvrit devant mes yeux l’abîme où j’allais m’engloutir.

Voici l’horrible chose que j’appris à l’instant même où tu accourais, où déjà j’entendais ta chère voix…

Notre Loïse était entre les mains d’un homme payé par ton frère… un misérable qui s’appelait le chevalier de Pardaillan. Ce monstre devait, sur un seul signe de ton frère, égorger la pauvre petite créature… ta fille, François… ce cher petit ange… Et ce signe, ton frère devait le faire au chevalier de Pardaillan si j’avais le malheur de prononcer une seule parole devant toi, tandis que je serais accusée… accusée de forfaiture par ton propre frère !

La scène épouvantable qui suivit, tu la connais !

Tu sais maintenant pourquoi je me tus lorsque ton frère m’accusa !…

Je me tus, François ! Et pourtant, mon âme hurlait de désespoir, ma chair criait sa souffrance ! Je me tus, et je sentais la folie envahir ma tête ! Je me tus, et la nature prit pitié de moi sans doute… car je m’évanouis et lorsque je revins à moi, tu avais disparu…

J’étais condamnée ! mais Loïse, ta fille, était sauvée !

Ah ! François ! maudit soit à jamais l’être abominable qui porte ton nom… ton frère… ton misérable frère qui fut ce jour-là un démon d’enfer acharné à ma perte et à la tienne !

Maudit soit ce Pardaillan, ce complice hideux qui avait accepté l’effroyable besogne !…

Mais il faut que tu saches le reste. Toi parti, ma fille me fut rendue par un inconnu, je courus à Montmorency pour te dire tout : tu étais en route pour Paris ! je courus à Paris… je vis le connétable…

Et le connétable qui sut toute la vérité par moi me donna à choisir :

Ou je renoncerais à mon titre d’épouse, ou tu serais enfermé au Temple pour la vie !

Je signai !…

Je signai, te dis-je ! Et je disparus, meurtrie, brisée… mais ma fille me restait ! J’ai vécu pour elle ; je vivrai pour elle… il faut que je vive…

Maintenant, mon cher époux, tu sais l’effroyable vérité.

Je te jure que si j’avais été seule frappée, je serais morte, emportant le terrible secret dans la tombe.

Ce secret, je l’écris.

Je te le ferai parvenir à l’heure de ma mort ; en mourant, je veux être sûre que ta Loïse va reprendre le rang auquel elle a droit, et qu’une vie de bonheur va s’ouvrir devant elle.

Accours donc, ô mon époux !

Quelle que soit l’année, quel que soit le jour, quelle que soit l’heure où j’aurai décidé de te faire parvenir cette lettre, où tu l’auras reçue, accours, suis le messager que je t’enverrai… accours auprès de ta femme innocente qui n’a jamais cessé d’être digne de toi et de t’adorer ; près de ta fille, ta Loïse, que je veux remettre dans les bras de son père !… »

Jeanne de Piennes, Duchesse de Montmorency.

Telle était la lettre que venait de lire le chevalier de Pardaillan ! Par une sorte de culte touchant, de révolte peut-être, par une conscience de son droit moral et de sa parfaite innocence, la malheureuse Jeanne l’avait signée de son titre : duchesse de Montmorency.

Le papier, avons-nous dit, était tombé des mains de Pardaillan.

Pendant quelques minutes, le jeune homme demeura immobile, comme s’il eût appris quelque catastrophe.

Et en effet, c’était une catastrophe qui s’abattait sur lui.

Il pleurait silencieusement, les larmes coulaient le long de ses joues sans qu’il songeât à les essuyer.

Enfin, il ramassa le parchemin, le brossa machinalement de la manche et le plaça devant lui, comme pour bien se convaincre de son malheur. Ses yeux tombèrent sur la signature.

— Duchesse de Montmorency !… Loïse était la fille des Montmorency !…

Cette sourde exclamation révélait une partie de son amertume.

En effet, Pardaillan, pauvre hère, sans sou ni maille, eût pu épouser Loïse, fille d’une modeste ouvrière.

Mais Loïse, fille du maréchal de Montmorency, ne pouvait devenir l’épouse du pauvre chevalier ; si le temps n’était plus où les rois épousaient des bergères, c’était encore moins le temps où des princesses donnaient leur main à des aventuriers sans titre, sans gloire, sans argent.

Il faut bien se rendre compte de ce que ce nom de Montmorency évoquait alors de formidable puissance et de splendeur.

Avec le connétable, cette maison, l’une des plus fières de la noblesse du royaume, avait connu l’apogée de la grandeur. Le connétable mort, le nom gardait encore tout son prestige. Et si l’on songe