Page:Lectures romanesques, No 141, 1907.djvu/16

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

D’abord, je vais t’annoncer une chose. C’est que tu as assez fait pour moi pour que je fasse quelque chose pour toi. Voilà près de six ans, Alice, que je t’emploie à mes desseins, qui sont ceux du roi… ma fille ! Dis-toi bien qu’en tout ce que tu as fait, tu as vaillamment accompli ton devoir pour la gloire du roi. Je n’ai eu qu’à me louer de ton zèle et de ton intelligence… Maintenant Alice, tu as assez travaillé… la mission que je t’impose sera la dernière… tu entends bien, la dernière !…

— Votre Majesté dit-elle vrai ! s’écria Alice dans un élan de joie.

— Très vrai, mon enfant. Je te jure qu’après ce dernier… service que tu auras rendu à la royauté, tu seras entièrement libre.

— Oh ! madame ! fit Alice en tremblant.

— Tu seras libre : je t’en fais le serment sur ce Christ qui nous écoute ! Mais moi, je ne me considérerai pas comme libre vis-à-vis de toi. Je t’enrichirai, Alice. D’abord, tu peux compter que tu seras inscrite sur la cassette royale pour une pension de douze mille écus. Ensuite, j’ai sept ou huit hôtels dans Paris, tu choisiras celui que tu voudras, et je te le donnerai tout meublé, avec ses chevaux et ses hommes d’armes ; ensuite, le jour où tu te marieras, sur ma cassette à moi, tu recevras cent mille livres comptant. Car je compte bien te marier, ajouta la reine en regardant fixement sa fille d’honneur.

Alice, par un prodigieux effort de volonté, parvint à ne témoigner ni approbation ni improbation, et à demeurer très indifférente en apparence devant ce projet.

— Donc, reprit Catherine, complètement rassurée, je te trouve quelque beau gentilhomme qui t’aimera, que tu aimeras… Vous habitez à votre guise Paris ou la province ; vous venez ou vous ne venez pas à la Cour ; enfin, vous êtes entièrement libres, et toi, ma fille, tu es non seulement libre, mais heureuse, riche, enviée… et tiens, mon enfant, voici les bijoux que tu mettras le jour de ton mariage !

En disant ces mots, Catherine souleva le deuxième compartiment du coffret aux bijoux.

La troisième rangée apparut.

Elle était éblouissante.

Là, maintenu par de légères agrafes d’or, serpentait un collier de diamants vraiment digne d’une souveraine pour un jour de sacre. Aux quatre angles du compartiment, s’emboîtaient quatre bracelets massifs, dont chacun laissait voir une perle grosse presque comme une noisette ! Les intervalles des bracelets au collier étaient occupés par des bagues et des pendants d’oreille incrustés de saphirs ; enfin, au centre de l’espace occupé par le collier, était placée une agrafe composée de deux monstrueuses émeraudes semblables à deux yeux glauques qui eussent cherché à fasciner la jeune fille.

Alice n’éprouvait qu’une sorte d’horreur pour ces bijoux qui jadis exerçaient sur elle une irrésistible tentation.

Elle jeta un coup d’œil sur cet étalage de somptueux joyaux ; les émeraudes, les yeux maudits qui la regardaient avec une funeste ironie la firent frissonner… Mais elle comprit la faute énorme qu’elle avait commise en demeurant indifférente. Elle fit un effort pour retrouver son admiration de jadis et s’écria :

— Oh ! madame, il n’est pas possible que vous me destiniez une aussi magnifique récompense…

Et, en elle-même, la malheureuse songea :

« La dernière honte ! La dernière infamie ! Et après, je serai libre !… libre !… ô mon amant !… ô toi qui m’as régénéré par la douleur, l’amour, le désespoir !… »

Et la reine, de son côté, pensait :

« Hum ! qu’a-t-elle donc ?… Le troisième compartiment lui-même ne l’émeut pas ?… Nous verrons tout à l’heure ce qu’elle dira devant le quatrième et dernier !… »

Alors, elle reprit à demi-voix comme si, dans son cynisme, elle eût éprouvé tout de même quelque embarras.

— Ainsi, c’est convenu, n’est-ce pas ? Maintenant, la mission, la voici… Fais-y bien attention, mon enfant, ceci est d’une exceptionnelle gravité… Je t’ai pardonné de n’avoir pas réussi auprès de François de Montmorency… Je ne te pardonnerais pas d’échouer auprès de celui-ci… car c’est d’un homme qu’il s’agit… Il faut, tu m’entends, que cet homme ait en toi une aveugle confiance… que non seulement son cœur, mais son esprit soit à toi… il faut que tu connaisses sa pensée intime… il faut qu’à un moment donné tu puisses me l’amener… où je te dirai… M’as-tu comprise ?

— Oui madame, dit Alice avec une certaine fermeté.

— L’homme, reprit la reine d’une voix qui siffla, comme dans le silence des bois sifflent les vipères, l’homme est à Paris ; c’est mon ennemi mortel, plus que mon ennemi… c’est une terrible menace vivante pour moi… Je te dirai comment tu