Page:Lectures romanesques, No 142, 1907.djvu/16

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

était excellent dans le conseil. Il avait une physionomie ouverte, des yeux très doux ; il était de manières exquises, d’une politesse raffinée, élégant d’allure, d’esprit très cultivé, et l’on comprenait parfaitement que la fille de l’amiral l’eût préféré à bien des partis plus riches, et notamment, disait-on, au duc de Guise lui-même.

Ayant introduit le chevalier dans la cour, le gentilhomme se hâta de refermer solidement la porte, appela un domestique et lui remit son pistolet en lui disant :

— Nous n’attendons plus qu’une personne, tu sais qui : tu n’as donc pas à te tromper…

Puis, saisissant Pardaillan par la main, il lui fit traverser la cour, lui fit monter un bel escalier de pierre et le fit entrer dans une petite pièce.

— Je veillais moi-même, expliquait-il tout en marchant, car nous avons réunion ce soir : l’amiral est là, M. de Condé aussi, et aussi Sa Majesté le roi de Navarre…

Pardaillan ne s’étonnait pas de l’extrême confiance qu’on lui témoignait ainsi. Mais il songea :

« Est-ce que je vais assister au pendant de la scène de la Devinière ? Après les Guises, vais-je voir comploter les huguenots ? »

Cependant, Téligny, après avoir introduit le chevalier dans le cabinet, l’avait serré dans ses bras avec une joie si évidente et si sincère que le Jeune homme en fut doucement remué.

— Voilà donc le héros qui a sauvé notre grande et noble Jeanne ! s’écria Téligny. Ah ! chevalier, que de fois en ces derniers jours nous avons désiré ardemment vous voir, vous remercier… C’est beau ce que vous avez fait là… d’autant plus que n’étant pas de la Réforme, vous n’aviez aucune raison de vous dévouer…

— Ma foi, je vous avouerai que je ne savais guère en l’honneur de quelle illustre princesse je tirais l’épée… mais excusez-moi, une affaire grave m’oblige à venir demander l’aide de mon ami Déodat, qui a bien voulu se mettre à ma disposition…

— Nous y sommes tous, chevalier ! s’écria Téligny. Quant au comte de Marillac…

— Le comte de Marillac ?

— C’est le véritable nom de notre cher Déodat. Je disais donc que, pour celui-là, vous l’avez ensorcelé ; il ne jure que par vous…

— Est-il ce soir en cet hôtel ?

— Il y est. Je vais le mander.

Téligny appela un valet et lui donna un ordre. Le valet s’éloigna, non sans que Pardaillan eût remarqué que cet homme, comme tous les domestiques de l’hôtel, était armé en guerre, ce qui donnait à l’hôtel de la rue de Béthisy l’allure d’une forteresse qui se prépare à soutenir un siège.

Quelques instants s’écoulèrent. Puis des pas précipités se firent entendre, une porte s’ouvrit, le comte de Marillac apparut et courut à Pardaillan les mains tendues.

— Vous ici, cher ami ! s’écria-t-il, serais-je assez heureux pour que vous eussiez besoin de moi ? Est-ce ma bourse, est-ce mon épée que vous êtes venu chercher ? Les deux sont à vous…

Le chevalier sentit son cœur se dilater.

Cette cordialité réelle, cette chaude amitié dont il se sentait enveloppé, lui qui avait toujours vécu seul, renfermé en lui-même, sans expansion de joie ou de chagrin, cette fraternité visible fondit les glaces factices de sa physionomie ; ses yeux se mouillèrent ; il comprit combien il était malheureux de son amour, et combien cette amitié lui était douce.

— Vraiment, balbutia-t-il, je ne sais comment vous remercier…

— Me remercier ! s’écria Déodat. Mais c’est moi qui suis votre obligé… nous le sommes tous ici, puisque vous avez sauvé notre grande reine… et je le suis, moi surtout, moi qui n’oublierai jamais l’heure si douce que j’ai passée près de vous !…

Téligny, voyant les deux amis partis dans le tête-à-tête, s’était retiré discrètement.

Pardaillan et Marillac s’assirent.

— Heure consolatrice ! poursuivit le comte. J’arrivais à Paris désespéré, l’âme ulcérée… votre bon regard, votre rire, votre esprit et votre cœur m’ont réconcilié avec moi-même. Tenez, cher ami, vous m’avez porté bonheur.

— Mais, en effet, on dirait que vous êtes moins sombre que le jour où vous me vîntes voir en mon auberge. Vos yeux s’éclairent, vos lèvres sourient… vous serait-il arrivé quelque heureux événement ?

— Dites un grand bonheur !…

— Et c’est ?… oh ! pardon, voilà bien ma manie de curiosité…

— Mon cher, fit le comte, j’ai pour vous une si vive affection que mon bonheur fût-il un secret — et il l’est en partie — je vous le raconterais encore, ne voulant rien avoir de caché pour vous.