Page:Lectures romanesques, No 148, 1907.djvu/11

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— Par Barabbas ! rugit au même instant Pardaillan.

Les deux jurons retentirent simultanément.

Et à peine les eurent-ils proférés que les deux épées se baissèrent ensemble, et que ce double cri se fit entendre :

— Mon père ! s’écria l’inconnu.

— Mon fils ! répondit le vieux Pardaillan.

Ils remirent leur épée au fourreau, non sans une sorte d’embarras chez le vieux Pardaillan et une sourde colère ou plutôt un désespoir concentré chez le jeune chevalier.

Il y eut une minute de silence, pendant laquelle le chevalier, prêtant l’oreille, essaya de percevoir un dernier bruit qui pût lui indiquer de quel côté s’était dirigé Damville.

Mais il n’entendit plus rien !…

— Perdues ! murmura-t-il avec accablement.

Le vieux routier, pendant cette minute, avait cherché ce qu’il pourrait bien dire à son fils. Il sentait un vague besoin de se disculper et devinait instinctivement que le chevalier était en droit de lui faire des reproches.

Il se campa donc dans son attitude de dignité offensée et, le poing sur la hanche, commença l’attaque :

— Après une si longue absence, je vous retrouve, mon fils. Et comment vous retrouvé-je ? Désobéissant pleinement à mes conseils que vous aviez juré de suivre, et que vous eussiez dû considérer comme des ordres ! Je vous retrouve, dis-je, en flagrant délit de cette faiblesse d’âme contre laquelle j’avais eu soin de vous mettre en garde ! Je vous retrouve, dis-je, vous mêlant de ce qui ne vous regarde pas, vous mettant en travers des larrons de haut vol capables de vous briser comme verre, vous intéressant à des gens qu’on enlève, essayant de secourir des inconnus qui ne crient même pas au secours. Enfin, je vous retrouve faisant tout justement le contraire de ce que vous deviez faire ! Est-ce ainsi que vous avez profité de mes avis ? Je vous avais commandé de vous défier des hommes, des femmes et de vous-même ! Et vous voici faisant le chevalier errant. Triste métier, mon fils, et qui vous rapportera peu d’écus, encore moins de bonne renommée, et vous conduira tôt ou tard à la potence ou à l’échafaud. Car les hommes, mon fils, sont des bêtes féroces qu’étonne et humilie la pure vaillance mise au service des causes qui ne doivent rien rapporter. Le moins qui puisse vous arriver, c’est de passer pour fou, et que les gens de bon sens vous montrent du doigt en riant et se gaussant entre eux, et en disant de vous : « En voici un qui prétend se dévouer sans que cela lui rapporte. Il faut l’enfermer ou le tuer.

« Car si de pareils exemples étaient suivis, il n’y aurait plus de profits possibles, plus de commerce honnête, plus de grands et petits, et ce serait la confusion universelle, la tour de Babel !… » Voilà ce que diront les gens, mon fils.