Page:Lectures romanesques, No 149, 1907.djvu/11

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Le chevalier dormit deux ou trois heures sur un méchant matelas que l’hôtesse du Marteau qui cogne, encline aux exagérations sentimentales, appela un lit somptueux, le matelas se trouvant dans un galetas qu’elle dénommait « la chambre des princes ».

« Que doivent être les chambres de simples marquis ou barons ou même chevaliers ! » avait songé le jeune homme en pénétrant dans le galetas, réflexion qui, d’ailleurs, ne l’avait pas empêché de s’endormir d’aussi bon cœur que s’il se fût étendu sur la couche la plus moelleuse, et d’y faire des rêves d’amour tout comme s’il n’eût pas été séparé pour toujours peut-être de celle qu’il aimait : tant il est vrai qu’à l’heureux âge des vingt ans, l’illusion consolatrice est plus forte que la réalité désespérante ; Béranger[1] a fait là-dessus une fort jolie chanson.

Vers neuf heures du matin, le chevalier était sur pied.

Il se rendit directement à l’hôtel de Montmorency et trouva le maréchal qui l’attendait avec une sombre impatience.

Cette journée et cette nuit, François les avait passées à agiter des pensées confuses et contradictoires.

Tantôt, il se repentait de n’avoir pas suivi sa première impulsion et de n’avoir pas été trouver son frère.

Tantôt, il convenait que le jeune chevalier avait eu raison et que la ruse, en cette affaire, serait plus utile que la force. Parfois, il arrêtait son esprit avec une sorte de charme effaré sur cet événement qui, par moments, lui semblait chimérique ; il avait une fille de dix-sept ans dont toujours il avait ignoré l’existence ! Alors il souriait, et presque aussitôt ses yeux s’emplissaient de larmes. D’autres fois, et plus longuement, il songeait à cette mère admirable, à Jeanne dont il avait reconstitué le martyre depuis sa dramatique visite à Margency ; et alors, il comprenait qu’il n’avait cessé de l’aimer… Jeanne lui apparaissait telle qu’il l’avait vue à leur dernier rendez-vous dans le bois de châtaigniers, radieuse de sa jeunesse en fleur dans la nature fleurie elle-même.

Et alors, un redoutable problème se posait ; et bien qu’il fît des efforts pour écarter la question, elle revenait implacable : il était marié à Diane de France. Et même, dans ce moment, elle cherchait à se rapprocher de lui. L’impossibilité d’une séparation, d’un sanglant affront à infliger à la famille royale, lui paraissait flagrante. On avait bien trouvé un pape pour sacrifier la pauvre petite Jeanne ; on n’en trouverait pas un autre pour le détacher de Diane ! Et pourtant, l’impossibilité lui apparaissait tout aussi formelle de vivre loin de Jeanne, de perpétuer la condamnation alors qu’il la savait innocente…

Et lorsqu’il songeait que sa vie était brisée, qu’il était trop tard pour être heureux, qu’il avait vécu dans le désespoir dix-sept années qu’il aurait dû vivre

  1. Béranger : chansonnier français de la Restauration (1780-1857).