Page:Lectures romanesques, No 149, 1907.djvu/13

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—Alors, répondit le maréchal d’une voix sombre, si le jugement des hommes me fait défaut, j’en appellerai au jugement de Dieu[1] !

Le maréchal s’élança vers son appartement.

— Malepeste ! grommela Pardaillan. Chez le roi !… C’est-à-dire chez la bonne reine Catherine ! la digne femme qui m’a fait jeter à la Bastille, et qui va s’empresser de me faire saisir !… Décidément, j’étais destiné à vivre sous la tutelle du vénérable Guitalens !… Allons, il n’y a pas à s’en dédire !… J’irai au Louvre !

Un quart d’heure plus tard, le maréchal reparut.

Il avait revêtu son grand costume d’apparat et portait ses ordres. Le collier d’or à longue chaîne passé au cou, toque noire à plume blanche, pourpoint et chausses de soie noire, manteau court en soie grise doublé d’hermine, hautes bottes montantes ; mais au lieu de l’épée de parade à poignée enrichie de diamants, il avait ceint le lourd estramaçon de guerre, à poignée de fer en croix. Pâle dans la blancheur de la collerette, le maréchal avait dans ce costume, qui seyait à sa haute taille et à sa vaste carrure, un peu de cette majesté rude qu’on avait tant remarquée jadis chez le connétable. Il apparaissait bien comme un Montmorency, comme le type du grand seigneur de l’époque, d’une âpre fierté, capable de traiter presque d’égal à égal avec le roi.

Il fit signe au chevalier de le suivre.

Dans la cour attendait un carrosse que le maréchal avait donné l’ordre d’atteler, en même temps qu’il commandait aux laquais de s’apprêter.

Le carrosse attelé de quatre chevaux noirs, avec son piqueur en tête, avec ses deux postillons, avec ses quatre laquais debout à l’arrière, tous portant le costume de cérémonie aux armes de Montmorency, avait grande allure.

Le maréchal et Pardaillan y prirent place ; devant eux, sur la banquette, s’assirent quatre jeunes pages en costume de satin blanc, au pourpoint armorié sur la poitrine.

L’énorme véhicule s’ébranla au pas et sortit de l’hôtel tandis que les douze gens d’armes présentaient les armes. Lentement, il se dirigea vers le Louvre et, sur son passage, les gens se disaient :

— Voici monsieur le maréchal qui s’en va faire sa cour à Sa Majesté…

Pendant le chemin, François de Montmorency et Pardaillan ne se parlèrent pas.

Le maréchal était tout à ses sombres réflexions, et le chevalier, impressionné, quoi qu’il en eût, par cet appareil magnifique, ne songeait pas sans émotion qu’il allait se trouver en présence du roi de France.

On arriva au Louvre.

Et le bruit de la visite que le maréchal de Montmorency faisait au roi se répandit aussitôt dans cette sorte de petite ville potinière et cancanière qu’était le somptueux palais des rois de France. En effet, l’énorme colosse de pierre abritait dans ses flancs toute une population nombreuse, ennuyée d’étiquette, compassée en apparence, mais bouleversée par les passions de toute nature qui couvaient dans ce microcosme. Des drames, des comédies, des amours violentes ou poétiques, des adultères, des duels, des meurtres, des intrigues s’élaboraient dans cette fournaise ; et les visages fardés selon la mode gardaient sous leur artificielle rigidité, sous l’impassibilité qui leur était un autre fard, une sorte de curiosité incessante, une inquiétude sourde qui donnaient aux regards d’étranges lueurs : tous ces gens couverts de soie et la figure peinte, avaient les allures sournoises de masques ou des attitudes de spectres.

La curiosité était la grande vertu du courtisan, l’inquiétude, sa maladie.

Cet événement imprévu de l’arrivée du maréchal de Montmorency, qui depuis des années se tenait éloigné de la cour, causa donc une vraie rumeur dans le palais.

Ce matin-là, il y avait réception chez le roi, c’est-à-dire que Charles IX avait admis ses courtisans à son grand lever. Le jeune roi paraissait de bonne humeur. Avec cette rondeur joyeuse qui lui était spéciale les jours où il était en bonne santé, il venait d’entraîner tout son monde pour visiter un nouveau cabinet qu’il venait de faire aménager au rez-de-chaussée, juste au-dessous de ses appartements.

C’était une pièce de dimensions assez vastes en elle-même, mais en somme plutôt petite, relativement aux immenses salles du Louvre : on peut encore la voir de nos jours. Charles IX prétendait en faire son cabinet d’armes et de chasses. C’est-à-dire qu’il avait fait transporter tout ce qu’il possédait d’épées, lourds estramaçons que ses mains débiles n’eussent pu manier, épées damasquinées, poignards mauresques, dagues italiennes, arquebuses, pistolets, couteaux de chasse, cors et trompes : pas un tableau, pas une statue, pas un livre.

La fenêtre de ce cabinet s’ouvrait

  1. C’est le vieux nom du duel. (Note de M. Zévaco.)