Page:Lectures romanesques, No 151, 1907.djvu/13

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fils est vivant, et puis vous me dites : Je l’ai vu ! — Où ? — Dans un couvent ! — Cherche, bonne mère ! Si cette fibre si profonde de la maternité s’est mise à vibrer en toi, si cette douleur nouvelle est venue se joindre à tant d’autres, de savoir que ton fils vit et que tu ne le verras jamais ; eh bien cherche ! Va de couvent en couvent, frappe à ces portes où quelque hideuse figure de moine te répondra qu’on ne sait de quoi il s’agit ! Et quand tu auras été renvoyée de cloître en cloître, de tombe en tombe, lorsque tu auras parcouru Paris comme on parcourt un cimetière, lorsque tu auras senti ta maternité éveillée t’infliger un supplice que tu ne connaissais pas encore, le père, le digne, l’honnête père viendra te bafouer encore et te dira sans doute que tu as mal cherché ! Ah ! monsieur, l’autre soir vous n’avez frappé que l’amante et vous ne fûtes que cruel ; ce soir vous frappez la mère et vous êtes odieux !…

— Est-ce que vraiment elle aimerait son enfant ! songea le moine qui tressaillit d’une joie profonde.

Lentement, il reprit :

— Je l’ai vu aujourd’hui, Alice. Et savez-vous ce qu’il me disait ? Il me demandait pourquoi tous les enfants ont un père et pourquoi il n’en a pas, lui…

Alice bondit.

Elle cria avec une sorte de fureur mêlée de jalousie :

— Et vous avez pu supporter une question pareille sans que votre cœur éclatât ! Et vous avez pu entendre votre enfant vous parler ainsi sans le saisir dans vos bras et lui crier : « Oh mon fils, ton père, c’est moi ! » Ô moine ! moine que vous êtes ! Ah ! marquis de Panigarola, j’avais pu croire que du moine vous aviez pris l’habit seulement : je vois que vous en avez l’âme.

— Il ne m’a pas demandé cela seulement, reprit le moine d’une voix terrible d’indifférence apparente ; il m’a demandé aussi pourquoi il n’avait pas de mère !… Et je vous jure que la voix de cet enfant était effrayante lorsqu’il me disait : « je suis seul, tout seul ; moi, je n’ai pas de mère… » Sa plainte était navrante…

Alice se tordait les mains. Elle comprenait maintenant ou croyait comprendre !

Ce fils, c’était la vengeance que son premier amant tenait en réserve !

Il allait maintenant entrer dans sa vie et la poursuivre de cette effroyable torture…

Ce soir, il lui apprenait que l’enfant demandait sa mère… il le lui montrait seul, triste, pauvre petit abandonné… une autre fois, il viendrait lui raconter les larmes et le désespoir de l’enfant… puis bientôt peut-être que le petit se mourait, miné par le chagrin.

Oui ! Voilà quel devait être le plan du moine, plan infernal sous lequel elle succomberait, à en juger par les angoisses qu’elle éprouvait à ce moment.

— C’est cet enfant qui m’a fait réfléchir, continua tout à coup le moine. C’est vrai, Alice, j’ai médité contre vous d’affreuses vengeances… mais je me suis demandé si, voulant vous atteindre, j’avais le droit de frapper l’enfant. Si moine que je sois devenu, peut-être reste-t-il en moi du marquis que vous avez connu… Vous savez comme il était prompt à la pitié… peut-être s’est-il ému… car il vient vous dire : « Alice, voulez-vous voir votre fils… notre fils ! »

Alice joignit les mains.

— Oh ! si vous faisiez cela !… Pardonnez-moi, Clément ; tout à l’heure, j’ai été dure, emportée… vraiment, je crois que je deviens méchante à force d’avoir souffert… C’est fini… Donc, vous me laisseriez voir mon fils… Ah ! Clément, si vous faisiez cela… je dirais…

— Que diriez-vous ? haleta le moine.

— Je dirais que vous êtes un saint, et je vous vénérerais comme tel, dit Alice.

Panigarola baissa la tête avec un sombre découragement.

— Un saint ! murmura-t-il amèrement. En effet, c’est tout ce que je puis espérer maintenant !

— Que voulez-vous dire, Clément ? Je vous en conjure, parlez-moi avec clarté… Je suis lasse, affreusement lasse de chercher la pensée obscure de qui me parle… Ah ! quel rafraîchissement ce serait que d’entendre des gens qui disent ce qu’ils pensent !

— Donc, fit le moine en se redressant, vous voulez connaître ma pensée ?

— Oui ! fit Alice, tremblante et résolue.

— Et vous avez réellement, sincèrement, le désir de voir votre enfant ?

— Je mourrais volontiers pour qu’il fût heureux et pour que mes fautes ne retombassent pas sur cet innocent !

Alice avait parlé avec une sincérité absolue.

Mais Panigarola remarqua qu’elle n’avait pas répondu précisément à sa question.

Il passa outre, craignant peut-être d’approfondir l’âme compliquée d’Alice.

Il croisa les bras, après avoir rabattu son capuchon en arrière. Sa tête apparaissait ainsi en pleine lumière, belle