Aller au contenu

Page:Lectures romanesques, No 160, 1907.djvu/15

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Pardaillan, nos coups à nous portent mieux…

Et il se mit à panser activement les blessures de son fils, blessures légères d’ailleurs et qui avaient déjà été pansées la veille.

— Or çà, dit-il alors, comment vas-tu sortir ? Moi qui n’ai rien promis, je t’avoue que je ne vois pas le moyen… du moins en plein jour. Je te conseille d’attendre la nuit.

— Le maréchal sera ici aujourd’hui même, dit le chevalier avec fermeté.

Le vieux Pardaillan se mit à siffler un air de chasse, et le chevalier commença ses recherches.

— J’ai trouvé ! dit-il au bout d’une heure.

Le vieux tressaillit et grommela :

— Au diable les donzelles ! Voyons, qu’as-tu trouvé ?

Le chevalier lui montra une lucarne qui ouvrait sur la toiture.

— Quoi ! Tu veux passer par les toits ?

— Puisqu’il n’y a pas d’autre chemin. Faites-moi la courte échelle, mon père, que je puisse atteindre cette chattière…

Le routier saisit la main de son fils et dit :

— Un dernier mot, chevalier. Tu ne voulus jamais en faire qu’à ta tête. Et pourtant, s’il m’en souvient, tu me juras bel et bien de suivre les avis que je te donnai. L’heure est venue de tenir ta parole. Que t’ai-je toujours dit ? De te méfier de tout le monde et de toi-même ! Et surtout de ne jamais te mêler de ce qui ne te regardait pas ! Or, pour n’avoir pas tenu le serment que tu me fis, tu nous as mis tous deux dans un cruel embarras. Tu ne t’es pas défié de ton cœur, chevalier, ah ! quelle engeance que les gens de cœur ! Et te voilà amoureux : tu t’es, du coup, rogné griffes et ongles. Mais soit, je passe l’éponge sur le passé, j’admets ta sottise d’être féru pour ta Loïsette et conviens que de plus malins que toi se fussent pris à ses cheveux d’or comme à une jolie toile, et à ses yeux clairs comme à une eau perfide. Je passe toute condamnation là-dessus. Tu aimes. Eh bien, par la mort-Dieu, laisse marcher les choses !… Tu veux amener ici le maréchal qui te tirera une belle révérence, te dira un grand merci, et emmènera sa fille en te souhaitant toutes sortes de bonheurs. Mais pourquoi ? De quoi diable te mêles-tu encore là ? Tu es dans une maison cernée. Qui t’oblige à t’aller rompre les os sur les toits ? Chevalier ! chevalier ! mêle-toi de ton amour, puisque tu es assez fou pour aimer ! Mais demeure en paix, et laisse tranquille ce digne maréchal qui ne t’appelle pas, auprès de qui personne ne t’envoie : cela ne te regarde pas !

— Vous vous trompez, mon père ! Cela me regarde.

— Ainsi, tu vas encore désobéir à ton père, à ton vieux père !

— Faites-moi la courte échelle !

— Tu es décidé ? Rien ne peut te convaincre que tu fais encore une sottise ? Dévouement, chevalerie, protection aux jolis minois dont les yeux pleurent, grands coups d’épée aux puissants larrons que nous devrions respecter… C’est cela qui te séduit ? C’est cela que tu veux ? Eh bien, je te suis !… C’est le renoncement à tous les bons principes d’après lesquels j’ai guidé ma vie…

Il n’y avait aucune ironie dans ce que disait là le vieux routier. Il parlait avec une entière conviction.

Le chevalier le serra dans ses bras.

Le vieux Pardaillan plaça ses mains entrelacées de façon que le chevalier pût y poser le pied comme sur une marche. Le jeune homme s’élança, atteignit les épaules, et levant les bras, se cramponna au rebord de la lucarne. Quelques instants plus tard, il était sur le toit de la maison.

Le chevalier se trouvait sur le revers de la toiture qui était opposée à la rue. Sa vue s’étendait sur une série de petites cours et de jardins. S’il descendait dans la cour de la maison, il était dans une impasse. Il n’y avait qu’un moyen. C’était de gagner le toit de la maison voisine. Là, il chercherait et découvrirait sans peine quelque lucarne par laquelle il pénétrerait dans la maison et gagnerait la rue.

La position du chevalier était des plus dangereuses. En effet, le toit de la maison, comme tous les toits voisins, à pente raide, construits sur un angle très aigu, présentait un chemin à peu près impraticable. Il y avait neuf chances sur dix de rouler. Cependant, ce ne fut pas là ce qui arrêta le chevalier dans sa tentative. À la vue des difficultés qu’il lui fallait vaincre pour s’éloigner de la maison, il se dit que ces difficultés seraient exactement les mêmes lorsqu’il s’agirait d’y rentrer. Or s’il pouvait, lui, se risquer sur ces routes aériennes, le maréchal de Montmorency pourrait-il le suivre ?

Le chevalier comprit qu’il ne pouvait proposer au maréchal un pareil moyen de se retrouver en présence de Jeanne de Piennes. À coup sûr, François de Montmorency n’eût pas hésité. Mais lui, chevalier, ne pouvait risquer d’autre vie que la sienne propre. Très désappointé