Page:Lefèvre-Deumier - Poésies, 1844.djvu/31

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J’abandonne donc ce livre à son bon ou mauvais sort, comptant très-peu sur le succès et résigné d’avance à la défaite. Quel que soit au reste le destin de cet ouvrage, je puis affirmer qu’il est le fruit d’un travail persévérant et réfléchi. L’inspiration, qu’on exige avant tout du poète, ne suffit pas. L’âme la plus riche parait bientôt stérile, si l’étude ne la féconde. Le génie même, le génie sans travail, est comme ces plantes qui n’ont pas de racines : un coup de vent les abat. Que devenir avec le génie de moins et la paresse de plus ? L’adage de Chénier est vrai pour tout le monde : « Le temps n’adopte pas ce qu’on a fait sans lui. Cela ne veut pas dire qu’il respecte tout ce qu’il nous aide à faire ; mais, généralement parlant, le temps qu’on met à édifier son œuvre est une présomption de sa durée. Quant à celle-ci, monument ou chaumière, temple ou tombeau, je l’ai construite assez lentement, pour qu’elle puisse durer toujours. S’il ne faut que souffler dessus pour la renverser, ce sera la faute de mon esprit, et non pas de mon zèle. Je ne regretterai pas mes peines ; je gémirai seulement, pauvre soldat littéraire, d’avoir étudié toute ma vie la tactique, pour me faire tuer caporal.

Par le temps qui court, ce n’est certainement pas un cas de conscience, qu’un méchant livre de plus ;