Page:Lefèvre-Deumier - Poésies, 1844.djvu/32

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le monde en ce genre est trop riche pour s’apercevoir de ce qu’on lui donne. Ce que je regarde comme une honte, c’est de faire mal, quand on a la t’acuité de faire bien. Manquer de respect à son talent, c’est manquer à Dieu même. Quant à moi, je me rends tout haut cette justice que, si je n’ai que trop souvent écrit pour me consoler, je n’ai jamais cru qu’on fît de bons vers en jouant, ou pour se divertir. La poésie, telle qu’il faut l’entendre, est un culte, une religion, un sacerdoce : c’est la profaner que d’en faire un passe-temps, c’est exposer les voiles du sanctuaire à la poussière des bastringues, aux taches de vin du cabaret. Si la prière est la respiration de l’âme, la poésie est la dévotion de l’esprit. Je crains que ce ne soit pour cela qu’on l’insulte, ou, ce qui est encore pis, qu’on la dédaigne. Je sais que, depuis Homère, c’est à qui se plaindra de cette stupide indifférence ; mais jamais, à coup sûr, on n’a eu plus raison qu’aujourd’hui. Jamais nulle part on n’a vu tant d’intelligence écrasée par la matière. On s’occupe tant du corps, que c’est à faire douter qu’il y ait une âme.

Je veux bien que nous vivions à une époque de progrès, quoique je ne sache vraiment pas dans quel sens nous les faisons. Mais ce qui me paraît plus évident que nos vertus, c’est notre mépris