Page:Lefèvre-Deumier - Poésies, 1844.djvu/339

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Quand on voit, à travers les buissons des ravines,
Un torrent de brouillards ruisseler des collines :
Quand on entend les eaux gémir sur le gravier,
Ou, mariant sa plainte aux soupirs du pluvier,
L’airain patriarcal des dernières prières
Jeter une voix sainte aux genêts des clairières :
C’est l’heure où, loin du monde, errant en liberté,
On respire le mieux l’air qu’il n’a point gâté.
Déjà, sous le poignard d’une angoisse future,
Mon cœur martyrisé, que l’avenir torture,
S’abreuve avec lenteur d’un charme qui l’endort,
Et perd ce sens fatal, qui déchiffre le sort.
Caressant mollement ma sourde fantaisie,
L’ange de la tristesse, ou de la poésie
(C’est le même), suspend, sur mon front soucieux,
Son frais bandeau, mouillé d’un nectar radieux,
Et fait, comme un parfum, pleuvoir, de son plumage,
Un bonheur qui varie et change à chaque image.
Je vois, au moindre vent, fuir, à travers les lis,
Les sylphes gracieux qu’a rêvés Gabalis,
Et d’un nuage ailé la bruineuse gondole
Porter tout Ossian sur sa poupe qui vole :
J’entends ce qui se tait : et, confident de tout,
Je sens que, comme Dieu, le génie est partout.

Si la lune se lève, et laisse, sur la terre,
Tomber de ses baisers le lumineux mystère,