Page:Lefèvre-Deumier - Poésies, 1844.djvu/451

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Que du barde, un instant, le génie exalté
S’élance, de ce monde, à l’immortalité !
Son vol poudreux et lourd touche à peine à la nue ;
Mais toi, fleuve sorti d’une mer inconnue,
Dont la pente y remonte en flots mélodieux,
Tu remportes notre âme à la source des cieux.

Les accents du poète auront beau l’entreprendre :
Ils reçoivent la vie, et ne peuvent la rendre.
Créateurs impuissants, nos plus mâles accords,
Quand ils veulent créer, galvanisent des morts.
Éclair capricieux, la rapide pensée,
Dans les nœuds du langage, expire embarrassée.
Perdu dans le dédale et la nuit du discours,
Un rayon de bonheur s’éteint dans leurs détours.
La mémoire, infidèle au but qu’elle s’impose,
Oublie, en les contant, tous les faits qu’elle expose.
Et la douleur ! qui peut, mesurant ses revers,
Imprégner de sanglots le tissu de ses vers ?
Les mots, dont on les peint, réfroidissent les larmes.
Fallacieux combats où nous luttons sans armes,
Il faut, pour exprimer nos chagrins venimeux,
Des cris, deschants, des voix, des sons, vagues commeeux.
Lumière accentuée et qui nous désaltère,
La musique elle seule en surprend le mystère,
Et, pour mieux enivrer nos sens, qu’elle traduit,
Laisse, en les éclairant, leurs secrets dans la nuit.