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Moins d’une demi-heure après, grand fracas d’équipage et carillon au parloir : Madame la maréchale Dire elle-même chercher son petit-fils.

Impossible de traduire les épithètes dont m’accabla la vieille dame qui, comme bon nombre de ses pareilles composant la noblesse militaire de Napoléon, avait passé aux Halles sa première jeunesse.

Avec le respect dû à son âge et à sa qualité de femme, je tiens ferme et refuse de lever la consigne. La scène menaçait de tourner au tragique, lorsque le directeur venant à rentrer y mit fin, en donnant satisfaction à la grand’mère, dont il s’empressa de calmer la fureur à l’aide de plates excuses.

Demeuré seul avec moi : « Ah çà ! jeune homme,
 » avez-vous juré de me ruiner ? Comment ! vous vous,
 » avisez de punir mon meilleur élève ! Un enfant qui
 » me paie trois mille francs ! trois mille francs ! monsieur,
 » sans compter les cadeaux, encore ! Des professeurs,
 » j’en trouverai toujours, mais des élèves à ce
 » prix !… »

Comme je protestais et parlais de me retirer sur-le-champ, il me promit, afin de sauvegarder ma dignité, de faire en sorte qu’à l’avenir le petit-fils du maréchal ne fut plus soumis à ma surveillance. — Et je consentis à rester.

Mais deux jours plus tard, je dus revenir sur cette messe, à la suite d’un incident beaucoup plus sérieux.

Rentrant le soir de meilleure heure au dortoir que je e le faisais quand je n’étais point « d’étude », je constatai l’existence de certains faits monstrueux dont malheureusement les établissements religieux n’ont jamais eu, je le suppose, le triste et honteux monopole.

Rien jusqu’alors, cependant, ne m’avait fait soupçonner qu’il se passât de ces choses dans ce pensionnat. Mes collègues m’avaient semblé de vieux ivrognes, mais rien de plus.