Aller au contenu

Page:Legendre - Sabre et scalpel, 1872.djvu/29

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
293
ALBUM DE LA MINERVE.

— Allons mon cher lui dit ce dernier, tout bas en le voyant entrer, nous voici dans la bergerie ; vous voyez que nos agneaux ne sont pas mal logés.

— Diable ! vous êtes un heureux coquin, fit Pétrini en jetant un coup d’œil autour de la chambre ; vous êtes logé comme un prince du sang. Saperlotte, l’affaire commence à m’intéresser. Mais voyons, êtes-vous vraiment malade, et qu’est-ce que vous avez ? Votre langue ?

Gilles montra sa langue qui était aussi peu chargée que possible.

Hum ! fit Pétrini, voyons le pouls ?

Gilles présenta son poignet gauche sur lequel Pétrini appliqua son index pendant quelque temps.

— Ah ! ça, dit-il, pourquoi diable m’avez-vous donc envoyé chercher ? Chagru m’a dit que vous aviez la fièvre ; mais, mon compère vous êtes aussi bien portant que moi.

— Vous connaissez votre métier ; mais vous n’êtes pas diplomate, monsieur le médecin. Ne voyez-vous pas qu’il est temps que votre rôle commence ? En dépit de votre savoir, je suis très-malade et je sais que mon état va empirer pendant huit jours ; vous viendrez me voir chaque jour une fois, deux fois s’il le faut, et vous serez très-inquiet sur mon état. C’est aujourd’hui, mardi ; eh ! bien, mardi prochain la maladie aura atteint son paroxysme, vous passerez la journée ici ; le soir vous ne pourrez pas me laisser. Dans la nuit, il se déclarera une crise qui, j’ai tout lieu de le croire, me fera doucement entrer en convalescence. Vous m’apportez beaucoup de fioles, d’eau rougie, ou de toutes les nuances qu’il vous plaira. Je ne vous défends pas même de m’affaiblir un peu. Mais prenez garde, ne commettez pas de ces petites erreurs innocentes, et Gilles souligna ce mot, qui envoient sournoisement un patient dans l’autre monde. Vous n’aimez pas l’éclat et vous savez qu’il y aurait une enquête. Je dis seulement cela parce que tout le monde est sujet à se tromper, et vous n’êtes pas plus infaillible que les autres. Vous avez huit jours pour travailler. Si, pendant ce temps vous ne trouvez pas moyen de vous rendre aimable, nécessaire même, autant vaut de suite renoncer à votre projet. Vous m’avez compris. Allez maintenant rendre compte de mon état à ce brave Maximus et ne manquez pas d’attribuer ma fièvre à un excès de travail. Je ne vous retiens plus, et prenez garde aux potions dangereuses.

— Vous êtes un grand coquin ; mais vous êtes un maître homme, dit Giacomo ; je vous comprends ; à demain.

Il prit sa canne et son chapeau et sortit de la chambre.

Au pied de l’escalier, il rencontra Maximus qui le fit entrer dans un petit boudoir où Céleste était assise avec une figure toute inquiète.

— Je n’ai pas l’honneur d’être connu de vous, Monsieur, dit Maximus, et je vous parais peut-être indiscret ; je suis Monsieur Maximus Crépin, propriétaire de cette maison, et voici ma sœur. Vous comprenez de suite quel intérêt nous avons à connaître l’état de notre cher malade.

Giacomo salua Maximus et s’inclina profondément devant Céleste qui continuait à se répéter : « quel bel homme ! Son père a dû être au moins duc ou marquis ! »

— Vous êtes bien bon, Monsieur, dit Pétrini, et je vous assure que l’intérêt que vous montrez pour mon ami me touche profondément. Il n’est pas en danger mais sa maladie pourrait être plus sérieuse qu’il ne le pense. Dans tous les cas, je crois pouvoir en répondre.

— Ah ! vous me rassurez, dit Maximus avec un soupir de soulagement qui n’était pas feint. Et quelle est donc sa maladie ? Vous comprenez que cela pourra nous guider dans les soins que nous lui donnerons.

— Oh ! ce n’est qu’une fièvre causée par des imprudences, et un peu d’épuisement. Je n’ai pas pu lui faire avouer la vérité toute entière, mais je soupçonne fort que sa maladie a pour cause, un excès de travail et une trop forte tension d’esprit.

— Et moi j’en suis sûr, s’écria Maximus. Quand je vous le disais ma sœur, continua-t-il en se tournant vers Céleste.

— Oui, monsieur, dit celle-ci, nous l’avons averti, nous l’avons même grondé ; il s’est jeté sur son ouvrage comme si sa vie eût été au bout de la tâche. Rien n’a pu l’arrêter, et maintenant vous en voyez les suites. Le malheureux enfant ! Et Céleste essuya une larme.

— Mon cher monsieur dit Maximus, n’épargnez rien pour le guérir. Je vous promets que, lorsqu’il sera mieux, ce sera moi qui le ferai travailler à ma guise, et il ne prendra plus de fièvre,

Maintenant ma voiture est à votre disposition ; dites-moi à quelle heure il faudra vous envoyer chercher demain. Et n’oubliez pas de ne rien épargner. Morbleu ! il ne sera pas dit que les gens meurent de travail dans la maison de Maximus Crépin.

— Je vais envoyer une potion calmante, par votre domestique, dit Pétrini. Il suffira de lui en donner