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Page:Legendre - Sabre et scalpel, 1872.djvu/30

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ALBUM DE LA MINERVE.

la moitié vers neuf heures ce soir, et le reste demain matin, à la même heure. Surtout ne lui permettez pas de se lever, je reviendrai demain dans le cours de l’après-midi. Je ne partirai pas, cependant, sans vous remercier encore de l’amitié que vous montrez à monsieur Perron, et sans vous assurer qu’il en est tout-à-fait digne.

Permettez maintenant que je me retire, j’ai d’autres malades qui m’attendent, et vous savez que la douleur n’est pas patiente.

Giacomo prit congé, et sauta dans la voiture qui l’entraîna rapidement vers la ville.

— Excellent jeune homme ! murmura Maximus, quand le docteur fut parti. Il faudra que nous cultivions cette nouvelle connaissance. Décidément, ma sœur, je crois que nous allons passer un hiver très-agréable.

Et le bonhomme monta lestement vers la chambre de Gilles en se frottant les mains.

Arrivé près de la porte, il se composa une figure grave et entra avec un maintien empesé, qu’il croyait rendre imposant.

— Eh ! bien, comment ça va-t-il ? et comment vous sentez-vous ?

— Pas trop mal, reprit Gilles d’une petite voix éteinte ; j’espère que cela ne sera rien.

— Hum ! Rien, rien ; le médecin pense le contraire, et il ne m’a pas caché que votre fièvre provient d’imprudences. Il m’a recommandé d’être sévère et je suis décidé à l’être. D’abord vous ne vous lèverez pas sans ma permission.

— Et mon travail qui est là.

— Votre travail ! il est bien question de cela ! Sacrebleu ! je veux qu’on m’obéisse. Vous allez vous laissez soigner, et si vous ne prenez pas les moyens de guérir, je me fâche.

Gilles poussa un soupir à fendre une âme plus dure que celle de Maximus.

— Voyons, reprit le bonhomme d’une voix plus douce, vous ne savez pas toute l’inquiétude que vous nous causez à ma sœur et à moi…

— Je sais que vos bontés n’ont pas de bornes, et ce qui me désole, c’est de ne pouvoir pas y correspondre dignement.

— Il ne faut pas vous inquiéter de cela ; le plus grand plaisir que vous puissiez nous faire est de vous guérir et de plus commettre d’imprudences. Je vais maintenant vous laisser reposer ; si vous avez besoin de quelque chose, ne vous gênez pas. Le docteur doit envoyer des remèdes ce soir, je vous engage à bien suivre ses prescriptions. Allons, du courage, et ne vous troublez pas l’esprit.

Maximus sortit tout content de l’acte d’autorité qu’il croyait avoir fait.

Quant à Gilles, il prit une position moins gênante et se mit à rire dans sa barbe du succès de sa petite comédie.

Le lendemain Giacomo revint ainsi que les jours suivants. Chaque jour il s’attardait un peu et causait avec Maximus et Céleste. Il n’avait fait qu’entrevoir Ernestine ; mais sa beauté l’avait frappé.

— Après tout, se disait-il, ça ne sera pas un sacrifice par trop désagréable que d’épouser cette fillette ; et si je réussis, je suis franchement un heureux coquin.

Le huitième jour qui était le mercredi, Giacomo arriva de bonne heure dans l’après-midi.

L’état du malade était considérablement empiré. Toute la maison était bouleversée. Maximus errait de chambre en chambre et Céleste s’attristait dans un coin.

Giacomo fut reçu comme un envoyé du Ciel.

— Montez vite, dit Maximus, je le crois en danger.

Giacomo s’élança dans l’escalier ; quand il arriva auprès de Gilles ce dernier semblait à peine respirer, il ne bougeait plus et ne parlait plus.

Giacomo lui prit le pouls et se tourna vers Maximus qui l’avait suivi :

— Descendons, lui dit-il, en mettant un doigt sur sa bouche et prenant un air mystérieux.

Ils revinrent en silence vers la bibliothèque.

— Les choses se compliquent, poursuivit Giacomo, à voix basse. Ce sommeil léthargique ne m’annonce rien de bon. Vous pouvez lui faire frotter les tempes avec du vinaigre et lui donner un peu d’air.

Maximus se hâta de transmettre ces ordres à Céleste qui partit en toute hâte pour les exécuter.

— Je crains bien, reprit Giacomo, qu’une crise ne se déclare cette nuit même ; elle pourra être fatale, si une personne entendue, n’en guide pas les accidents ; je ne voudrais pas abandonner mon ami dans une circonstance aussi critique, et il va peut-être me falloir vous demander la permission de m’établir ici pour la nuit. C’est peut-être trop…

— Mais, comment donc ! mon cher docteur, la maison est à vous ; disposez-en comme vous l’entendrez. Je vais faire dresser un lit dans la chambre du malade.

— Pas du tout, un fauteuil me suffira. Je suis habitué à dormir ainsi, et je serai d’ailleurs plus prêt en cas de besoin.

— Comme vous voudrez, mais ne vous gênez pas.

— Oh ! quant à cela, ne craignez rien, je vais voir un peu ce qui se passe là-haut.