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Page:Legendre - Sabre et scalpel, 1872.djvu/39

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ALBUM DE LA MINERVE.

deux peut bien avoir son bon côté. Enfin la fièvre de la danse avait envahi toute la salle.

Ernestine valsait ; mais, tout en valsant, elle continuait à examiner les groupes de jeunes gens qui encombraient les portes. Tout-à coup, son cavalier la sentit tressaillir ; son souffle se précipita ; une imperceptible rougeur lui monta au front.

— Je suis fatiguée, dit-elle, reposons-nous un instant ; voici justement un canapé, asseyons-nous un peu.

Au même instant, Giacomo Pétrini traversait le salon, derrière les couples, et venait saluer Céleste. C’est son entrée qui avait causé l’émotion d’Ernestine : elle le suivait du coin de l’œil.

La musique avait cessé ; les danseurs causaient par groupes, ou se promenaient dans les passages. Giacomo, après avoir présenté ses hommages à Céleste, se fit un chemin vers Ernestine qu’entourait de nouveau un groupe d’élégants dorés sur tranche. L’arrivée de Giacomo leur fit faire la grimace et, rivaux de tout-à-l’heure, ils se donnèrent la main pour démolir le nouveau venu. Il n’avait jamais fréquenté les bals et, par conséquent, il était inconnu de la plupart des visiteurs de Maximus.

— Qu’est-ce que ce grand sombre ? disait un petit muscadin aux cheveux jaunes et plats.

— Connais pas, disait un autre, en frisant sa moustache d’un air dédaigneux et les yeux fixés au plafond

— C’est peut-être un prince déguisé, glissa un troisième, avec une petite moue admirable d’ironie.

— Déguisé est le mot, dit un jeune précieux aux binocles d’or.

— Ou bien c’est un prince de coulisse, ajouta le petit monsieur aux cheveux jaunes.

— Il a fréquenter le gymnase ; quels muscles ! dit un grand maigre.

— C’est peut-être un professeur de boxe, appuya un gros garçon aux cheveux roux.

Et il le fixait effrontément.

Un peu plus loin Giacomo attirait encore l’attention et était l’objet de conversations animées.

— Quelle belle tête ! disait une jeune fille à sa voisine, quelle expression dans le regard et l’adorable moustache !

— Ce doit être un espagnol ; comme il est brun !

— Mais non ! reprit un jeune homme, je crois reconnaître ce beau ténébreux ; c’est le ténor de cette troupe italienne qui donne en ce moment des représentations à Québec.

— Oh ! pour vous qui êtes, un ténor, assez léger même, répliqua la jeune fille, tous les jolis garçons sont ténors.

— N’importe, qu’il soit espagnol ou ténor, dit un vieux monsieur, c’est un bel homme tout de même, et quand j’étais à cet âge…

Les commentaires allaient leur train mais Giacomo avait l’air de ne s’apercevoir de rien ; il marchait droit et fier et passa sans cérémonie devant le petit monsieur aux cheveux jaunes et plats pour aller s’incliner devant Ernestine.

La jeune fille rougit beaucoup et lui tendit la main.

— Vous avez tardé beaucoup, ce soir, c’est bien mal à vous fit-elle.

— Mademoiselle, veuillez bien croire qu’il a fallu des obstacles insurmontables, pour me retenir si longtemps.

— Oh ! une excuse, nous connaissons cela, c’est facile à trouver.

— Vous êtes cruelle, mademoiselle : un médecin, vous le savez ne peut pas hésiter entre le plaisir et son devoir.

— Voyons, je vous croirai, si vous me dites, là, sans hésiter ce qui vous a retenu.

Bien volontiers, quoique ce ne soit pas gai. Au moment je m’apprêtais à partir on accourait me chercher en toute hâte pour un pauvre enfant qui venait de s’empoisonner avec des allumettes chimiques, je ne pouvais pas balancer et je suis resté près de lui tant que tout danger n’a pas été écarté. J’ai eu enfin la consolation de le remettre sauvé dans les bras de sa mère. J’en appelle à votre cœur, n’ai-je pas bien fait et me pardonnez-vous ?

Ernestine avait des larmes dans les yeux.

— De grand cœur, Monsieur, comme vous l’avez si bien dit, le devoir avant le plaisir. Je regrette seulement que vous n’ayez pas donné ces explications d’abord à mon tuteur, qui est très-inquiet.

Je les lui donnerai tout à l’heure, mademoiselle, mais j’ai cru devoir vous demander d’abord pardon, à vous qui êtes la reine de cette fête, la reine de…

Il allait ajouter quelque chose de plus tendre, mais, à ce moment, Maximus se présenta, le sourire aux lèvres :

— Pardon, dit-il, de vous interrompre, mais je viens de vous apercevoir et je voulais…

— J’allais justement vous présenter mes civilités et mes excuses pour être venu si tard ; j’en donnais les raisons à Mademoiselle qui vous dira qu’elles sont excellentes.

— Bien, bien, nous causerons de cela plus tard ; maintenant je compte sur vous pour me rendre un service.

Voyons, ajouta-t-il, en lui tapant familièrement sur l’épaule, j’ai commis auprès de ces dames l’in-