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Page:Legendre - Sabre et scalpel, 1872.djvu/72

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ALBUM DE LA MINERVE.

— Témoin, vous êtes de mauvaise foi et vous insultez à la majesté de la cour. Il faisait clair ; à cent pas, comment se fait-il que vous ne sachez pas quels sont les ravisseurs ?

— Ils étaient masqués.

Oh ! alors c’est différent ! c’est différent ! Diable ! Diable !

Le magistrat se gratta le front et se mit à songer.

Au bout de cinq minutes, il releva la tête comme un homme qui vient d’avoir une idée lumineuse.

— Cher Monsieur Crepin, dit-il, nous avons la main dessus. Il s’agit seulement de suivre mes conseils.

Vous allez prendre une dizaine d’hommes, et faire une battue autour de l’endroit où la jeune fille a été enlevée, surtout dans la direction que les deux hommes masqués ont prise ; il me semble que c’est infaillible. Qu’en pensez-vous Kobus ?

— Parfait, monsieur le magistrat, parfait ; répondit celui-ci en s’inclinant.

— Et ces recherches, monsieur, poursuivit le magistrat en s’adressant à Maximus, ramèneront votre pupille dans vos bras.

Il avait l’air convaincu, le brave homme, et se leva d’un air tout triomphant.

— Monsieur le magistrat, dit Maximus, je ne doute pas que votre idée soit bonne ; mais voilà déjà trois fois que nous parcourons le bois en tous sens, sans aucun résultat.

— Alors, c’est différent ; c’est différent. Je n’ai plus rien à faire ici ; la justice a terminé son œuvre et je me retire. Kobus suffit maintenant pour vous diriger. Si vous étiez embarrassés cependant, envoyez-moi chercher.

Le gros homme sortit, reconduit par Maximus, se hissa dans la voiture de louage qui l’avait amené, et s’éloigna d’un air digne.

Quand Maximus fut rentré, malgré la gravité de la circonstance, tout le monde partit d’un formidable éclat de rire, auquel Kobus lui-même ne put pas s’empêcher de prendre part.

— Il est de fait, dit Laurens que voici déjà une heure de perdue ; et le temps est trop précieux pour que nous ne l’employions pas. Mettons-nous en route de suite et battons le bois encore une fois.

— C’est cela, dit Maximus, je vais tout faire préparer.

Il sortit par derrière pendant que Laurens descendit vers le parterre pour recueillir un peu ses idées.

Comme il franchissait la dernière marche du perron, un petit garçon d’une dizaine d’années, déguenillé mais l’œil vif, s’approcha de lui :

— C’est pour vous ça ? dit-il, en lui montrant un papier.

Laurens prit le billet qui portait effectivement son adresse.

— Oui, c’est pour moi, mon garçon, dit-il, et voici pour toi.

Il lui jeta une pièce blanche que le gamin happa, après quoi il disparut en gambadant derrière les arbres de l’avenue.

Laurens ouvrit le billet et lut :

« Monsieur l’officier, »

« Vous m’avez rendu un service que je n’oublierai jamais. Vous voulez trouver Mademoiselle Moulins ? Elle est au pouvoir de Giacomo Pétrini, dans une caverne située dans les montagnes à deux lieues au Sud-Ouest du Château de M. Crépin. En partant de la source où la jeune fille a été enlevée, j’ai plaqué les arbres jusqu’à l’entrée de la caverne de vingt pas en vingt pas, à trois pieds de terre. Trois coups de sifflet et les mots de passe : « Chi tace sta ricco ; chi parla sta morto. »

« Un ami. »

Après la lecture de cette lettre, Laurens demeura quelque temps plongé dans une profonde méditation.

Quand il releva la tête, Pétrini était à ses côtés, ses yeux attachés sur le billet que Laurens tenait encore en main.

— Comme cela, dit le jeune médecin, nous allons recommencer nos recherches. J’espère que nous aurons plus de succès.

— Oui, oui, répondit Gustave en le regardant fixement, j’espère que nous aurons plus de succès.

— Auriez-vous découvert quelqu’indice ?

— Je ne sais pas ; cependant j’ai non-seulement des espérances, mais des convictions.

— Tant mieux, tant mieux, je veux bien partager votre confiance. Voici d’ailleurs les chevaux qui arrivent, nous verrons bien si votre espoir se réalise.

Dans le même moment, Maximus arriva suivi de son monde, et donna l’ordre de se mettre en selle.

François était le seul qui restât en arrière.

Comme Chegru montait à cheval, il lui fit signe de s’avancer.

— Tu pars toujours, dit-il.

— Oui, dit François.

— Et tu seras de retour ce soir ?

— Oui, voilà le montant qui se fait et avec ce vent de Nord, je serai ici à la fin du prochain baissant.

— C’est bien, dépêche-toi, et surtout ne dis rien à personne.

Sur ce, François rentra dans la cour pendant que toute la cavalcade s’éloignait par l’avenue.

Le point de départ des recherches fut encore l’éclaircie de l’érable rouge. Les groupes s’éloignèrent chacun dans une direction différente tout le monde devant se retrouver au même endroit, sur les six heures du soir.

Après avoir chevauché quelque temps en compagnie de l’agent Kobus et de Chagru, Laurens trouva un prétexte et retourna sur ses pas. Revenu dans la clairière, il chercha du regard et trouva bientôt dans la direction indiquée par la lettre, le premier plaquage sur le tronc d’un hêtre ; il se mit à suivre les entailles et marcha ainsi pendant au-delà d’une heure, tantôt en selle, tantôt conduisant sa monture par la bride. Au bout de ce temps, il déboucha dans une petite gorge aux environs du Pic Bleu. Jusque là, la lettre mystérieuse l’avait bien conduit.

Mais comment trouver l’entrée de la caverne ? Et d’ailleurs, l’entrée une fois connue, serait-il prudent de s’y introduire au risque de tomber dans un guet-apens ? Cette lettre venait peut-être de Pétrini lui-même qui voulait là lui tendre un piége.

Maintenant qu’il y songeait, il se rappelait la singulière expression de l’Italien, lorsqu’il l’avait trou-