Aller au contenu

Page:Legendre - Sabre et scalpel, 1872.djvu/71

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Chapitre XVII.

LE gros monsieur à cravate blanche se laissa tomber dans un fauteuil, soufflant comme un asthmatique et s’essuyant le front avec un immense foulard rouge.

— Ouf ! Monsieur Crépin, dit-il quand sa respiration fut un peu rétablie, savez-vous qu’il fait une chaleur tout à fait illégale et qu’il faut être bien dévot à son pays pour juger par un temps pareil !

Ces messieurs, poursuivit-il, en se tournant vers Laurens, Giacomo et Gilles Peyron, sont sans doute de votre famille, car nous devons procéder à huis clos. La justice est une chose sévère !

— Ces messieurs, n’appartiennent pas à ma maison, dit Maximus, mais ce sont des amis qui veulent bien nous aider dans nos recherches ; vous pouvez parler sans crainte devant eux.

— Bien ; car nous avons devant les yeux une sérieuse affaire ; et notre science a besoin d’être condensée. Le grand Blackstone nous donne ce conseil, n’est-ce pas Kobus ?

Le petit homme à l’œil vif, qui portait ce nom et qui était d’ailleurs un agent de police assez futé mit la main à son front.

— Monsieur le magistrat, a raison comme toujours dit-il en faisant un profond salut.

— Bien ; maintenant procédons symétriquement et systématiquement.

Quand et en compagnie de qui la jeune fille a-t-elle été vue la dernière fois ?

— Comme je vous en ai déjà informé, dit Maximus, un de nos domestiques Michel Chagru était avec elle au moment de sa disparition.

— Bien ; alors en conséquence, il est responsable jusqu’à preuve du contraire ; c’est la doctrine d’Archbold, n’est-ce pas Kobus ?

— Monsieur le magistrat à raison, comme toujours salua Kobus.

— Voici donc le premier pas, et comme vous le voyez, nous sommes sur la trace.

Le gros magistrat s’essuya de nouveau le front, roula ses gros yeux tout autour de lui avec un air de satisfaction intime, puis continua.

— Faites comparaître devant nous le nommé Michel Chagru.

Maximus envoya quérir ce dernier qui arriva tout aussitôt.

— Mon brave, lui dit le magistrat en le toisant de ses gros yeux blancs, quel poste occupez-vous dans la domesticité de Monsieur ?

Le père Chagru tout décontenancé, roulait son chapeau entre ses doigts et ne répondait pas.

— Voyons, poursuivit le magistrat, répondez à la justice qui vous interroge : répondez catégoriquement et systématiquement.

Chagru, de plus en plus embarrassé, continuait à rouler son chapeau.

Le magistrat eut un mouvement d’une dignité comique.

— Jeune homme, dit-il, de quoi vous mêlez-vous ? Laissez faire la justice qui connaît son affaire et dont les obscurités apparentes recèlent les éclairs et la foudre.

Laurens détourna la tête pour cacher un sourire, pendant que Kobus dissimulait ses impressions sous une inclinaison de quarante-cinq degrés.

— Je réitère ma question, dit le gros homme, en s’adressant à Chagru, et, si vous ne répondez pas, je devrai prendre acte de votre silence.

— Monsieur le juge, dit à la fin Chagru, j’étais avec la Demoiselle quand ils l’ont enlevée.

— Ah ! Voilà ; maintenant, à quelle distance étiez-vous.

— À cent pieds au plus.

— Combien étaient-ils ?

— Deux.

— Les avez-vous vus de cette distance commettre le rapt ?

— Je ne sais pas.

— J’oubliais que vous êtes illettré et illégal.

Les avez-vous vus enlever la jeune fille ?

Comme je vous vois.

— Il faisait clair ?

— Oui.

— À cent pas, en temps clair, peut-on reconnaître une personne ?

— Dam ! il me semble.

— Parfait. Alors quels étaient ces hommes ?

— Je ne sais pas.