Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/12

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ne s’est formé que peu à peu ; à côté de mon amour des lettres, j’ai eu des goûts portés jusqu’à la passion, comme la musique et les armes : à côté de ma vie physique et morale, s’est organisée ma vie de famille ; j’ai été mari, père, grand-père ; j’ai connu tout ce que ces noms renferment d’immenses joies et d’amères douleurs ; personnes n’a plus reçu, n’a plus perdu, et plus retrouvé que moi. Eh bien, dans cette succession de vicissitudes et de transformations de toute sorte, toujours, au moment décisif, s’est présenté à moi, sous forme de jeune homme ou de vieillard, d’inconnu ou d’illustre, un envoyé qui m’a servi de conducteur.

Ce qui me met la plume à la main, c’est donc le désir de faire revivre, tels que je les ai vus, tels que je les ai connus, sans flatterie reconnaissante, mais avec leur physionomie prise sur nature, ces chers envoyés successifs. Ce livre sera la peinture d’une âme humaine se formant au contact d’âmes presque toujours supérieures à elle, une biographie se mêlant à d’autres biographies, dont les personnages s’encadreront à leur tour dans l’époque où chacun d’eux aura vécu, et jetteront ainsi quelque lueur sur le caractère de cette époque. Je parlerai un peu de moi pour avoir l’occasion de parler beaucoup d’eux. Je serai le cadre, ils seront le tableau.

Un tel livre peut-il intéresser ? Je n’en désespère pas ; mais je voudrais plus pour lui. Arrivé au moment de la vie où je suis, on a besoin que ce que l’on fait soit bon à quelque chose et utile à quelqu’un ; on veut