Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/13

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pouvoir se dire, en s’en allant : il vaut mieux que j’aie vécu.

Telle serait mon ambition pour ces souvenirs. Je voudrais qu’ils fissent un peu de bien. Voici comment.

Si heureuses qu’aient été les rencontres de ma vie, je me garde bien de me ranger parmi ceux qui méritent que la Providence fasse des exceptions en leur faveur, et qu’elle dérange ses envoyés pour eux. Ce qui m’est arrivé a dû arriver à beaucoup d’autres ; mon histoire ressemble vraisemblablement à l’histoire de tout le monde. Oui, je le crois fermement, chacun de nous, s’il remonte le cours de sa vie, se convaincra que, quelque profession qu’il ait exercée, quelque rang qu’il ait occupé, quelque épreuve qu’il ait traversée, presque toujours, à l’instant critique, il a vu une main, il a entendu une voix qui lui a indiqué la route, et souvent même s’est offerte à l’y diriger.

Le tout est de reconnaître cette voix, de suivre cette main, et, une fois le service reçu, de le rendre à votre tout. Certes, bien profonde est cette maxime : Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît à toi-même ; mais non moins efficace est celle qui dit : Fais aux autres le bien qu’on t’a fait. Le bienfaiteur n’a pas moins à y gagner que l’obligé. L’aide qu’on donne, devient parfois l’aide qu’on reçoit.

Voici donc ce que je rêve pour ce livre, voici l’impression que je voudrais laisser aux lecteurs : c’est que la sympathie est dans cette vie un guide plus sûr que le scepticisme ; c’est que la confiance n’est pas un pur métier de dupe ; c’est qu’à côté des pièges et des