Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/121

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Je m’explique. Tout professeur de littérature dans une faculté, a besoin d’être un habile lecteur, car les citations font partie de son discours, et citer c’est s’interrompre de parler pour lire. Or, rien de plus difficile que ce mélange de la lecture et de la parole. C’est un art dans un art. Un membre éminent du Sénat, qui est en même temps un des plus illustres maîtres du barreau, me disait un jour que sur vingt avocats et sur vingt orateurs politiques, on n’en trouvait pas deux qui sussent bien lire une citation ; « ceux même qui parlent bien, ajoutait-il, lisent mal. Il semble que ce soit un autre homme qui paraisse subitement à la tribune ou à la barre. L’orateur avait une diction vive, vraie, naturelle ; le citateur a un débit froid, monotone, et parfois faux ; ce changement de ton refroidit non seulement l’auditeur, mais l’orateur même ; sa citation finie, il ne revient pas sans effort à son mouvement personnel ; il a autant de peine à reconquérir sa propre émotion que celle de l’assemblée. »

Rien de pareil chez M. Villemain. Ses citations, loin d’interrompre le mouvement de sa parole, s’y mêlaient pour l’animer et l’accentuer. Elles faisaient partie de son éloquence. Était-il donc, comme Andrieux, un lecteur de premier ordre ? Non ; une qualité essentielle lui manquait : la vérité. Son débit avait quelque chose d’un peu déclamatoire. Il se faisait de la musique à lui-même avec son bel organe. Mais ici l’inconvénient se tournait en avantage. Un professeur qui lit, n’est pas seulement un lecteur, c’est un critique, un commentateur. Il ne se met ni à la place du poète, ni à celle du personnage