Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/120

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sérieux, qu’augmentait encore sa belle voix grave. M. Cousin avait plus de verve naturelle, plus d’ardeur, plus d’imagination, et en même temps, chose singulière, plus d’artifice. On sentait toujours dans son attitude, dans ses gestes, quelque chose du comédien. Il était à la fois plein de spontanéité et plein de calcul. Le feu sombre de ses yeux, ses cheveux noirs et incultes, ses traits fortement accusés, son visage maigre, lui donnaient naturellement un air inspiré dont il avait conscience et dont il tirait profit. Personne n’a mieux joué l’improvisation. Il avait soin, comme un grand nombre d’orateurs, de préparer d’avance certains passages à effet. Eh bien, quand il en arrivait là, on le reconnaissait facilement. A quel signe ? A l’abondance et à la facilité de sa parole ? Au contraire, à ses hésitations. Il avait l’air de chercher ses mots. Il semblait tourmenté par sa pensée comme s’il eût été sur le trépied ; on assistait, on s’associait à tout le travail d’une inspiration intérieure, c’était une sorte de crise d’enfantement, et, quand arrivait enfin l’explosion, elle vous frappait d’autant plus vivement qu’on avait souffert et travaillé avec l’orateur ; on croyait y être pour quelque chose.

Le cours de M. Villemain était de beaucoup le plus éclatant. A quoi devait-il cet éclat ? D’abord, au sujet même de son cours, les lettres ont toujours quelque chose de plus brillant que la philosophie et l’histoire ; puis, à sa voix ; je n’en ai pas connu de plus belle ; c’était un pur timbre d’or ; enfin, à son talent de diseur, et, ce qui est plus rare, de lecteur.