Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/124

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les phases de la marche dramatique, M. Villemain en arrive au dénouement, au discours de Cassius au peuple et à la réponse d’Antoine :

 
Contre ses meurtriers je n’ai rien à vous dire.
C’est à servir l’État que leur grand cœur aspire.
De votre Dictateur ils ont percé le flanc !
Couverts de ses bienfaits, ils sont teints de son sang !
Pour forcer des Romains à ce coup détestable,
Sans doute il fallait bien que César fût coupable.
Je le crois ! Mais enfin César a-t-il jamais
De son pouvoir sur vous appesanti le faix ?
A-t-il gardé pour lui le fruit de ses conquêtes ?
Des dépouilles du Nord il couronnait vos têtes !
Tout l’or des nations qui tombaient sous ses coups,
Tout le prix de son sang fut prodigué pour vous !
De son char de triomphe il voyait vos alarmes ;
César en descendait pour essuyer vos larmes !


Il faut en convenir, ce sont là de bien beaux vers, d’un autre goût que notre goût actuel, mais vraiment beaux. L’effet produit fut considérables. Les romantiques étaient consternés, les classiques triomphaient, et leurs bravos enthousiastes se prolongèrent jusqu’à ce que M. Villemain, étendant la main, comme pour réclamer le silence, dit avec un demi-sourire que je n’ai jamais oublié : « Prenez garde, messieurs ! Ce que vous applaudissez dans ces vers de Voltaire, ce n’est pas le génie de Voltaire seul, car ce passage est imité de Shakespeare. »

Ce fut comme un coup de théâtre. Les applaudissements changèrent de mains et de côté, et furent accompagné, cette fois, d’acclamations ironiques et d’interruptions moqueuses ; mais M. Villemain, toujours