Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/125

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semblable au Neptune de Virgile, apaisa de nouveau, d’un geste, le tumulte des flots, et entra dans l’analyse de Jules César. Même prudence, même sérieux dans le jugement. Dès le début, il alla droit à la différence fondamentale de composition qui sépare les deux œuvres, ou plutôt les deux systèmes, le système français et le système anglais.

Tandis, en effet, que Voltaire, à l’imitation du dix-septième siècle, n’a cherché dans le fait historique, que le développement d’un fait dramatique, Shakespeare nous présente un tableau d’histoire, une peinture de caractères. M. Villemain, prenant donc tour à tour les personnages principaux du chef-d’œuvre anglais, Brutus, Porcia, Cassius, les montra tels que Shakespeare les a créés, non plus comme des rôles de théâtre conséquents à eux-mêmes, et parlant tous la même langue noble, mais comme des êtres vivants, complexes, contradictoires ; il lut par fragments la scène de Brutus et de Porcia ; de Brutus et de son esclave ; de Brutus et de Cassius ; puis une fois ces types caractéristiques fortement imprimés dans notre esprit, il descendit au forum avec Shakespeare, mit en scène le cadavre de César, le testament de César, le duel de harangues d’Antoine et de Brutus, le Sénat, les soldats, et enfin le peuple ! Le peuple devenu tout à coup le personnage le plus puissant du drame ! Quel changement ! Nous n’avions plus devant les yeux, comme dans le Cassius et l’Antoine de Voltaire, deux avocats plaidant, en une sorte de cour d’assises, le coupable ou non coupable. C’était Rome tout entière évoquée devant nous,