Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/144

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en partie le rôle. Propriétaire d’une petite maison située rue des Trois-Frères, n° 11 (la rue des Trois-Frères était une partie de la rue Taitbout actuelle), il imagina de donner à sa maison des airs d’ermitage. Il fit construire, dans son petit jardin, une petite chapelle ; il est vrai que le dieu du temple était Voltaire et qu’il en était, lui, le frère servant. Sa robe de chambre était un froc, sa cordelière une corde. On montait à son cabinet par un escalier tortueux, dont la rampe était encore une corde à gros nœuds. Ajoutez que, comme il était jeune encore, il cumulait les deux parties du personnage, restant le diable en se faisant ermite.

J’ai mis en tête de ce chapitre : le Salon de M. de Jouy. Il avait en effet un salon. Chose rare et difficile ! N’a pas un salon qui veut. Il y faut bien autre chose que la richesse, que le titre, que la position, il y faut d’abord une femme. Or, M. de Jouy était bien marié…, mais mari, non ! Il aimait trop les femmes des autres, pour rester longtemps lié à la sienne. A peine uni à une jeune Anglaise de fort noble famille, très originale d’esprit, il se sépara d’elle… Se séparer est un mot trop fort…, il n’y eut ni rupture ni éclat. Le lien ne se brisa pas, il se dénoua. Il n’y avait absolument rien à reprocher à la femme, rien d’absolument grave à opposer au mari. Seulement il perdit peu à peu l’habitude de rentrer chez lui. Heureusement, ce ne fut ni si tôt ni si vite que de cette courte liaison il ne fût resté un souvenir, une fille. Cette fille fut élevée par sa mère jusqu’à l’âge de seize ans, mais elle voyait souvent son père ; elle les adorait tous deux, et leur