Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/145

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ressemblait à tous deux. Elle avait hérité de sa mère une délicatesse de cœur, une pureté de sentiments, qui, mêlés à l’esprit, à la gaieté de son père, et joints à cette forte éducation morale que donne aux gens jeunes la pratique des situations difficiles, faisaient d’elle une femme particulière et tout à fait charmante. Elle travailla toute sa vie, non pas à réunir ceux qui étaient désunis, la dissemblance des caractères était trop forte, mais à les rapprocher. M. de Jouy s’y prêta volontiers, car il ne prenait pas plus au sérieux sa position d’homme séparé que sa position d’homme marié. Le mariage avait été pour lui chose si légère, qu’il ne comprenait pas qu’on y vît une chaîne et encore moins un sacrement. Je l’entends encore me dire, à propos de Louise de Lignerolles, où j’avais essayé de peindre les conséquences souvent terribles de l’adultère du mari : « Mais, mon cher enfant, ça n’a pas le sens commun ! Qui diable vous a mis en tête de bâtir cinq actes et une catastrophe tragique sur la peccadille d’un mari qui a une maîtresse ? Il n’y a pas de quoi fouetter un chat. »

Quand sa fille eut seize ans, elle revint près de lui, et ce fut elle qui tint son salon. L’emploi n’était pas facile. On connaît le mot, bien genevois, trouvé sur le carnet de Mme Necker, la femme de l’austère ministre : « Penser à relouer M. Thomas sur sa Pétréide ». Or le salon de M. de Jouy n’était pas composé seulement de gens qu’il faut penser à relouer, les poètes et les hommes de lettres. On y rencontrait aussi des orateurs, des hommes politiques : Manuel, Benjamin Constant