Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/172

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dans votre écurie, lui dit-il, mais vous ne savez pas les conduire. » Puis, il ajouta gaiement : « Vous le saurez un jour. Par malheur, il arrive souvent que, quand on le sait, les chevaux sont morts. » Il usait de son franc parler gouailleur, même avec Lamartine, qui ne s’en offensait jamais. Un jour, lui parlant de Jocelyn, pour lequel il avait une admiration immense : « Oh ! quel beau poème ! mon cher ami, lui dit-il, que de génie ! que de sentiments profonds ! que d’imagination !… Seulement, pourquoi diable avez-vous mis là deux ou trois cents vers que vous avez fait faire par votre portier ? » Lamartine éclata de rire et lui répondit avec candeur : « Parce que j’ai un grand défaut, mon cher ami : je ne sais pas corriger. » Il disait vrai. Une des dernières éditions de ses poésies contient des variantes qui y font tache ; il ne change jamais un mauvais vers que pour le remplacer par un plus mauvais.

Béranger ne se tira pas à si bon marché de son rôle de poète consultant avec Victor Hugo. Le poète lyrique, dans Victor Hugo, l’enthousiasmait ! Il aimait moins le poète dramatique. Le Roi s’amuse ne lui plut que médiocrement. Il tremblait de voir un si beau génie faire fausse route. Qu’imagina-t-il alors pour lui dire la vérité ? D’emprunter le nom de Triboulet. « Permettez à votre fou, Sire, lui écrivit-il, de vous tirer respectueusement par le bord de votre manteau, et de vous dire tout bas ce que l’on n’ose pas vous dire tout haut. » Sous ce couvert d’un bonnet de fou et d’une marotte, il lui adressa quelques critiques très fines, très