Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/211

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dans mon admiration tout ce qui est digne d’être admiré, à quelque époque, à quelque littérature, à quelque école, dans quelque écrivain que je le trouve ; si mon enthousiasme pour Shakespeare n’ôte rien à mon culte pour Racine ; si j’ai vu attaquer et détrôner tour à tour Chateaubriand, Lamennais, Béranger, Casimir Delavigne, Scribe et même Lamartine, sans que ces attaques m’aient inspiré un autre sentiment, que le besoin de ramasser les débris de ces statues renversées et de leur donner place dans le petit Musée de Cluny que je me suis construit en dedans de moi ; si j’ai applaudi du même cœur Hernani et Bertrand et Raton ; Antony et l’École des Vieillards ; les Effrontés ou le Demi-Monde et la Camaraderie ; si j’emmagasine côte à côte dans ma mémoire, les Vieux de la Vieille de Théophile Gautier, et l’Épître à mon petit logis de Ducis ; si enfin aujourd’hui, après tant d’années passées dans ce monde, j’ai pris un état, si je me suis fait anthologiste, si je vais parcourant avec une ardeur infatigable le domaine tout entier de l’art, pour chercher, pour trouver dans l’antiquité et dans les siècles modernes, dans les poètes et dans les prosateurs, dans les romanciers et dans les moralistes, dans les pièces de théâtre et dans les sermons, dans les classiques et dans les romantiques, quelque page, quelque phrase, quelque ligne, quelque parole vraiment exquise, que je savoure, que j’apprends par cœur, que je m’exerce à bien dire, et qui devient pour moi tout ensemble un foyer où je me chauffe et flambeau où je m’éclaire… à qui le dois-je ? à qui dois-je