Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/215

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épris d’une jeune fille de grande maison, et se voyant repoussé par la famille, partit pour un voyage de deux ans à travers l’Europe, sans autre arme que ses instruments de pêcheur. Il alla sous toutes les latitudes, à travers les plus diverses beautés naturelles, sur les plus sauvages ou les plus délicieuses rives, à la poursuite du saumon. Or, qu’arriva-t-il ? C’est qu’au bout de deux ans, il en revint non seulement consolé, mais porteur d’un chef-d’œuvre, Salmonia !Salmonia est à la fois une savante étude sur les mœurs des poissons, la description charmante des plus riants paysages, et une analyse délicate des rêveries poétiques où vous entraînent les longues stations sur le bord des riants cours d’eau. Car, il faut oser le dire, il y a parfois un poète dans le pêcheur à la ligne, un poète inconscient, mais qui n’en est que plus heureux. J’en vois souvent un, sur les bords de la Seine où j’habite, que je ne regarde jamais dans son attitude de penseur qui ne pense à rien, sans lui porter envie. Je regrette tous les goûts que je n’ai pas et j’adore tous ceux que j’ai eus. Dans mon enfance, j’ai commencé par l’amour du jeu. Je crois bien avoir été un des écoliers les plus follement joueurs de tous les lycées de Paris. L’internat est aujourd’hui l’objet des plus vives attaques, et personne n’a le droit d’en parler avec plus de ressentiment que moi : j’ai été interne quatorze ans ! Eh bien, je lui pardonne tout, parce que je lui dois l’amour du jeu. Les pensions d’alors avaient sur les lycées d’aujourd’hui, une grande supériorité, elles avaient l’espace. Les écoliers d’aujourd’hui ne savent plus jouer parce qu’ils n’ont pas