Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/219

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J’aime encore l’escrime comme observateur. Une salle d’armes est une salle de spectacle où abondent des originaux aussi amusants qu’au théâtre. Il y a d’abord la classe nombreuse des tireurs qui ne tirent pas, et qui ne tireront jamais. Puis, les tireurs pour cause de ventre, ceux à qui leur médecin ou leur femme ordonne de maigrir, et qui, après avoir pendant deux heures, sué comme des bœufs, soufflé comme des phoques, fumé comme des puddings bouillis, vous disent de bonne foi : « Je viens de faire des armes ! » Il y a aussi les maîtres d’armes, je me trompe, les professeurs d’escrime. Ils sont généralement gais, bonnes gens, braves gens, dévoués corps et âme à leurs élèves, surtout à ceux de leurs élèves qui leur font l’honneur de tuer quelqu’un. Mais leur côté faible c’est la véracité… le fleuret à la main, bien entendu ! Je trouve qu’on a été bien injuste envers les dentistes, en disant : Véridique comme un arracheur de dents. A la place des professeurs d’escrime, je réclamerais ; il est vrai que les amateurs pourraient bien réclamer aussi. Je n’ai guère rencontré de tireur qui ne niât au moins un coup par assaut. Que voulez-vous ? un coup nié ne compte pas ! Et il est si facile de dire : Je n’ai pas senti ! Ah ! si quand nous tombons, nous autres, auteurs dramatiques, nous pouvions annuler les sifflets en disant : Je n’ai pas entendu ! Enfin quand cela arrive, on se console en venant faire des armes et en écoutant les histoires du maître.

Je m’en rappelle une assez plaisante. J’ai eu pour premier professeur un vieux maître qui s’appelait le père