Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/230

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

en pleine poitrine une riposte de quarte, la chemise s’empourpre de sang.

« Vous êtes blessé, monsieur ! s’écrie Bertrand, s’arrêtant aussitôt.

— Non ! » répond l’autre avec rage.

Et il se précipite sur lui comme un furieux. Bertrand saute de trois pas en arrière :

« Vous êtes blessé.

— Non ! »

Et l’insensé se précipite toujours, et Bertrand rompt toujours, ne pouvant, avec sa générosité naturelle, supporter l’idée de combattre un ennemi à moitié vaincu. Mais l’autre, exaspéré par sa blessure même, l’attaque avec tant de furie, que Bertrand, forcé de se défendre, lui lance dans les côtes une riposte de tierce volante qui l’étend sur le carreau.

Le second duel fut avec le célèbre professeur des gardes du corps, Lafaugère. J’ai bien souvent entendu raconter ce duel par le père Angot, qui y figura comme témoin. Le père Angot ! Encore un type perdu ! Ancien soldat, ancien maître de régiment, court, sanguin, cordial, enthousiaste et rageur, il avait un culte pour Bertrand qu’il appelait toujours le petit frisé. « Ah ! monsieur, me disait-il, le beau duel ! comme ils se sont crânement battus ! Il faut rendre justice à Lafaugère, il a joliment soutenu le choc. Quelles attaques ! quelles ripostes ! comme c’était amusant ! Mais, au bout de trois ou quatre minutes, j’ai dit : Lafaugère est f…ichu ! Le petit frisé le tient. Je crois bien qu’il le tenait ! Ne voilà-t-il pas Lafaugère qui a