Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/246

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Quel fut le trait distinctif de son talent ? La date de son début à Paris peut nous aider à le trouver. Elle y arriva vers 1829, c’est-à-dire en pleine révolution poétique, dramatique, pittoresque et musicale. Hernani, Freischütz, les symphonies de Beethoven, le Naufrage de la Méduse, avaient déchaîné, dans le domaine de l’art, des puissances et des orages inconnus ; l’atmosphère y était toute chargée d’électricité. Eh bien, la Malibran fut le représentant de cet art nouveau, comme la Pasta avait été l’interprète sublime de l’art classique. Même dans les œuvres de Rossini, la Pasta mêlait à l’émotion, une dignité, une gravité, une noblesse qui la rattachaient à l’ancienne école. Elle était vraiment la fille de Sophocle, de Corneille, de Racine ; la Malibran fut la fille de Shakespeare, de Victor Hugo, de Lamartine, d’Alfred de Musset. Son génie était tout de spontanéité, d’inspiration, d’effervescence ; mais, en même temps, et là est un des côtés les plus caractéristiques de cette organisation si complexe, en même temps, par une contradiction singulière, la nature la condamnait à l’effort, au travail opiniâtre et sans cesse renouvelé. La fée mystérieuse qui avait présidé à sa naissance, lui avait accordé tous les dons d’une grande cantatrice dramatique, sauf un seul, un instrument complet. Alfred de Musset dit dans ses vers :


Ainsi nous consolait sa voix fraîche et sonore,


puis plus loin :

 
Où sont-ils, ces accents
Qui voltigeaient le soir sur ta lèvre inspirée,
Comme un parfum léger sur l’aubépine en fleur ?