Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/247

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Eh bien, non, la voix de la Malibran ne voltigeait pas. La voix de la Malibran n’avait rien d’un parfum léger. La voix de la Malibran n’était pas ce qu’on nomme une voix fraîche et sonore. Son organe, pathétique et puissant, était dur et rebelle. Quand la Sontag chantait, les sons s’échappaient de son gosier si limpides et si brillants qu’on eût dit un pur flot de lumière. La voix de la Malibran ressemblait au plus précieux des métaux ; c’était de l’or, mais il fallait l’arracher du sein de la terre ; c’était de l’or, mais il fallait le dégager du minerai ; c’était de l’or, mais il fallait le forger, le frapper, l’assouplir, comme le métal sous le marteau. Je l’ai entendue, à Rome, un jour où elle devait jouer le Barbier, travailler pendant plusieurs heures, les traits de sa cavatine, et de temps en temps elle s’interrompait pour interpeller sa voix, lui disant, avec une sorte de colère : « Je te forcerai bien à m’obéir ! » La lutte était donc chez elle un besoin, une habitude qui, jointe à sa ténacité indomptable et à son amour de l’impossible, prêtait un caractère bien plus puissant et bien plus original à son talent que le poète ne l’a dit ; il l’a amoindrie en supprimant l’effort.

Si l’on veut se rendre compte de ce qu’elle était, il faut se rappeler à quelle école elle avait été formée.

Garcia, son père, joignait une véritable science de compositeur à un merveilleux talent de virtuose. Nourrit m’a raconté, qu’avant de débuter, il alla lui demander des conseils. « Quel morceau m’apportez-vous ?

— L’air du Mariage secret, « Pria che spunti. »