Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/254

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— Mais…

— Il n’y a pas de mais ; puisque vous l’avez fait, je puis le faire ! »

Et la voilà, après quelques explications et indications sommaires, qui prend du champ, lance son cheval, franchit bravement le fossé et se retourne vers nous en riant et toute triomphante. Elle avait non seulement le dédain, mais la passion du danger. Pauvre femme ! Elle est morte de cette passion-là. Elle descendait les côtes ravinées et pierreuses au triple galop ; je partis un jour avec elle, sur un cheval noir, et je revins sur un cheval blanc, tant la course où elle nous avait tous entraînés toute la journée avait couvert nos montures d’écume. Revenus à six heures, nous nous retrouvâmes dans la soirée chez le comte Moreni, où elle avait promis de chanter. Elle chanta, comme elle avait monté à cheval et comme si elle n’avait pas monté à cheval. On se sépara à une heure du matin. Mon premier soin, en rentrant, fut de défendre à mon valet de chambre de me réveiller avant onze heures. A sept heures du matin ma porte s’ouvre :

« Qu’est-ce ?

— Un mot de Mme Malibran.

— Eh ! bon Dieu ! Qu’y a-t-il donc ? »

J’ouvre et je lis :

« A neuf heures, à cheval, rendez-vous avec nos amis, à la « place de la Concorde ! »

Et quand on pense qu’il y a eu des gens assez fous pour dire, et d’autres assez niais pour croire, que l’ivresse était son génie, et qu’elle buvait du rhum pour s’exciter. Voyez-vous