Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/255

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ce volcan sur lequel il fallait jeter de la braise pour qu’il flambe !

Je lis dans Musset ces trois vers charmants :

 
N’était-ce pas hier qu’enivrée et bénie,
Tu traversais l’Europe une lyre à la main,
Dans la mer en riant te jetant à la nage !


Le poète oublie d’ajouter qu’elle ne savait pas nager. Un jour, en plein golfe de Naples, dans une promenade qui devait se terminer par un bain, l’eau était si belle, l’air si pur, qu’elle n’eut pas la patience d’attendre qu’on fût arrivé plus près du bord, et, ouvrant tout à coup son manteau qui cachait son costume, elle se jette dans la mer. On s’étonne, on regarde, elle reparaît rose, riante, mais se soutenant très mal sur l’eau.

« Mais, madame, c’est de la folie ! Vous savez à peine nager !

— Bah ! répond-elle gaiement, je savais bien que vous ne me laisseriez pas noyer. »

Il faut ajouter que jamais la moindre prétention, le moindre désir d’être remarquée, ne se mêlait à ses coups de tête ; c’était naturelle vaillance. J’ai là sous les yeux une lettre écrite par elle de Londres, au moment de la révolution de Juillet ; elle y regrette ne pas s’être trouvée à Paris, elle aurait voulu se battre, et mourir pour la liberté ! Toutes les grandes causes la tentaient, ses excentricités de courage n’étaient que les effervescences d’une âme de héros qui n’a rien à faire.