Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/26

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de mal ! » Cette parole nous semblait belle comme l’antique ; et lorsque, interrogé sur les motifs qui l’avaient poussé à ce meurtre, Louvel répondit : « Depuis le 18 juin 1815, j’ai toujours entendu retentir le canon de Waterloo ! » Louvel nous semblait un homme de Plutarque. Je ne saurais trop le répéter, jamais on ne comprendra bien cette époque tant qu’on ne donnera pas une part immense à ce souvenir de Waterloo. Il était au fond de tous nos sentiments. Nous aussi nous entendions sans cesse le canon de cette affreuse bataille, et ainsi s’explique notre animosité contre les Bourbons qui en avaient bénéficié, notre sympathie pour Napoléon qui y avait succombé avec nous, notre indulgence pour Louvel qui l’avait maudit, notre admiration enthousiaste pour Casimir Delavigne qui l’avait à la fois glorifié et pleuré. Nul de nous qui ne sût par cœur la première Messénienne, et que ne répétât ces quatre vers sur la garde impériale :

 
On dit qu’en les voyant couchés sur la poussière,
D’un respect douloureux frappé par tant d’exploits,
L’ennemi, l’œil fixé sur leur face guerrière,
Les regarda sans peur pour la première fois !


Qu’on se moque de notre chauvinisme tant qu’on voudra, ces vers pansaient un peu notre blessure, et nous tressaillîmes de joie quand, le 6 décembre 1823, Casimir Delavigne, à tant de titres poétiques et patriotiques, en ajouta un dernier plus éclatant encore. Ce jour-là, l’affiche du Théâtre-Français portait :

 
PREMIÈRE REPRÉSENTATION
L’ÉCOLE DES VIEILLARDS