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VI

L’automne de 1832 reste dans ma mémoire comme marqué d’un signe lumineux. C’est l’époque de mon premier voyage à Rome. Mes journées se passaient à visiter les monuments, les musées, les palais, les ruines, les rues, et chaque soir j’allais à la Villa Medici, à l’Académie de France, dirigée alors par Horace Vernet. Il en était l’honneur, sa femme la bonne grâce et sa fille la grâce Mlle Louise Vernet semblait, à la Villa Medici, être placée dans son cadre naturel. Avec son pur visage de camée antique, poétisé par je ne sais quel reflet des Vierges de Raphaël, elle passait au milieu de toutes ces belles statues de l’antiquité ou de la Renaissance comme une jeune Romaine de plus. Je n’oublierai jamais le premier jour où je la vis. J’étais au Colisée, seul, assis sur le dernier gradin de l’amphithéâtre, la tête basse et cherchant sur le sol, avec l’œil de la pensée, comme dit Shakespeare, la trace des générations disparues. Je lève les yeux et, tout en haut du cirque, je vois apparaître entre deux arceaux brisés, se confondant avec le ciel, une jeune fille éblouissante de beauté, qui se mit à descendre lentement vers les degrés inférieurs ; il me sembla voir une prêtresse de Vesta, qui venait prendre sa place dans la loge réservée à ses pieuses sœurs.